Catherine MAIA
Après l'acquittement prononcé, le 31 mars 2016, par la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de l’ultranationaliste serbe Vojislav Seselj de toutes les accusations pesant contre lui pour son
rôle dans les guerres qui déchirèrent l’ex-Yougoslavie dans les années 1990, le procureur du Tribunal, Serge
Brammertz, a annoncé, le 6 avril, que son Bureau fera appel de cette décision, marquée selon lui de manquements graves à l'exercice de la justice.
Lors du prononcé du jugement, le juge
Jean-Claude Antonetti a expliqué que « l’accusation n’a pas présenté de preuves
suffisantes pour établir que les crimes ont été commis », ajoutant qu’« avec cet
acquittement sur l’ensemble des neuf chefs d’accusation, le mandat d’arrêt n’a
plus d’objet : Vojislav Seselj est donc un homme libre à la suite de ce
verdict ». Cet acquittement permet ainsi à l’ancien député, tête de liste de son
parti pour les élections anticipées du 24 avril prochain, de se présenter sans
entraves.
Vojislav Seselj, aujourd’hui âgé de 61 ans, était
accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pour avoir, selon le
procureur du TPIY, « propagé une politique visant à réunir tous "les territoires
serbes" dans un Etat serbe homogène, qu’il appelait la "Grande Serbie" ». Pour l’accusation, ce proche de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic mort dans sa prison néerlandaise il y a dix ans
avant la fin de son procès devant
le TPIY, porte la responsabilité de multiples meurtres, persécutions,
transferts forcés et tortures notamment, commis en Bosnie, en Croatie et en Serbie.
La majorité des juges de la Chambre de première
instance du TIIY a admis que Vojislav
Seselj était effectivement « animé de la ferveur politique de créer la Grande
Serbie ». De fait, il personnifiait
le nationalisme serbe dans les conflits en Croatie (1991-1995) et en Bosnie
(1992-1995), lesquels ont fait 20.000 morts en Croatie et 100.000 morts en Bosnie, et qu'il a alimentés par ses discours enflammés. Néanmoins, d’après les juges cela « ne procédait pas
d’un dessein criminel », car « la propagande d’une idéologie "nationaliste" n’est
pas en soi criminelle ».
En outre, bien que des crimes aient été commis,
Vojislav Seselj n’était pas « le chef hiérarchique » des milices de son parti
placées sous le contrôle de l’armée régulière, de sorte qu’il ne peut pas être
tenu « pénalement responsable » de leurs actes. « Il existe une possibilité raisonnable
que l’envoi de volontaires visait la protection des Serbes » et était motivé par
« le soutien à l’effort de guerre ».
Fait rare au TPIY, la juge Flavia Lattanzi, l'un des
trois présidents de la Chambre, a tenu à afficher son opposition à ce verdict
d’acquittement. Elle accuse Vojislav Seselj et ses partisans de manœuvres d'intimidation
contre les témoins à charge. A cet égard, Vojislav Seselj qui avait plusieurs fois insulté juges et dénoncé la légitimité du TPIY, avait dévoilé les noms de témoins protégés, ce qui lui avait valu d'être condamné à trois
reprises, respectivement à deux ans, dix-huit mois et quinze mois de prison.
Aussitôt, le Premier ministre croate, Tihomir
Oreskovic, a fait part de son incompréhension : « Ce verdict est une
honte »,
a-t-il déclaré lors d'une visite à Vukovar, ville croate assiégée en 1991 par
les forces serbes. Le ministère croate de l'Intérieur a également annoncé
que Seselj était déclaré persona non grata en Croatie, de manière permanente,
car il représente « une menace pour l'ordre public ».
Ce jugement place le TPIY sous le feu des projecteurs,
quelques jours seulement après, d'une part, la condamnation à 40 ans de prison de Radovan Karadzic, le chef
politique des Bosno-Serbes, pour sa responsabilité dans les politiques de
nettoyage ethnique, condamnation dont il a l’intention de faire appel et, d'autre part, l’emprisonnement burlesque à 5 jours de prison de la journaliste française Florence Hartmann, qui avait divulgué dans son livre Paix et châtiment de 2007 deux décisions confidentielles du TPIY montrant que ce
dernier avait abusivement conservé sous le sceau du secret des documents remis
par Belgrade, utilisés dans le procès de Slobodan Milosevic,
lesquels tendraient à démontrer l’implication de l’Etat serbe dans le
massacre de 8.000 musulmans à Srebrenica en 1995.
Dans
un communiqué de presse, le procureur du TPIY, Serge Brammertz a proclamé : «
Après avoir examiné à l'écrit les motifs donnés par la majorité de la Chambre
de première instance concernant l'acquittement de Vojislav Seselj, mon Bureau a
décidé de faire appel du jugement ». « Étant donné l'ampleur des erreurs
que nous avons identifiées dans le jugement majoritaire, nous tenons à
souligner aux victimes des crimes que cet appel est une priorité absolue pour
ce Bureau ».
Le
procureur du TPIY a dénoncé un « manquement
fondamental de la majorité » des juges dans l'exercice de la fonction judiciaire : «
La majorité a omis de statuer correctement sur les éléments essentiels de la
thèse de l'accusation, y compris en ne tenant pas compte d'une grande partie du
dossier de preuve ; en ne fournissant pas de motifs appropriés pour étayer ses
conclusions ; en n'appliquant pas correctement la norme juridique "au-delà de
tout doute raisonnable" ; en omettant d'examiner les accusations portées contre
Vojislav Seselj à la lumière de la nature généralisée des crimes établis ; en
ne faisant pas la distinction entre l'objectif politique ultime poursuivi par
les membres de l'entreprise criminelle commune et les moyens criminels employés
pour y parvenir ; en faisant des constatations de fait déraisonnables et
contradictoires ; et en n'appliquant pas correctement les éléments de modes de
responsabilité, tels que l'entreprise criminelle commune et la complicité,
conformément à la jurisprudence établie », a déclaré Serge Brammertz.
Le
procureur du TPIY a également regretté que la majorité ait ouvert la voie à la
possibilité de considérer que la conduite criminelle ait pu n'être qu'une simple
contribution légitime à l'effort de guerre, en dépit de l'ensemble des preuves
disponibles prouvant le contraire : «
À notre avis, cela a conduit la majorité à créditer de façon déraisonnable la
thèse selon laquelle : l'expulsion des civils était un geste humanitaire ; les
discours de haine incendiaires servaient tout simplement à remonter le moral
des forces serbes ; et le déploiement des forces de nettoyage ethnique était
une mesure pour protéger la population serbe ».
Serge Brammertz a estimé que la conclusion de la majorité des juges selon laquelle il
n'y a eu aucune attaque généralisée ou systématique contre la population civile
dans certaines parties de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine – un
pré-requis pour les accusations de crime contre l'humanité – manifeste un
profond mépris pour le grand nombre de crimes démontrés lors du procès.
Le procureur du TPIY a insisté sur son intention de faire en sorte que cet appel
soit plaidé de manière efficace et équitable, conformément à la procédure
d'appel prescrite dans le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux.
Cela, d’autant plus que cette décision vient à la suite d’une longue série de
récents acquittements en appel, venant casser de lourdes peines infligées en
première instance.
Ainsi,
le 16 novembre 2012, les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac
étaient acquittés en appel, alors qu’ils avaient été condamnés en première
instance respectivement à 24 et 18 ans de prison et qu’aucun fait nouveau
n’avait été porté à la connaissance du Tribunal. Le 29 novembre 2012, l’ancien
commandant de l’Armée de libération du Kosovo, Ramush Haradinaj, était
également blanchi par le TPIY, à l’issue d’une longue saga judiciaire au cours
de laquelle neuf témoins-clefs sont décédé, tandis que d’autres se sont
volatilisé ou rétracté. Le 28 février 2013, l’ancien chef d’état-major de
l’armée de Serbie, le général Momcilo Perisic, était acquitté en appel, après
avoir été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et crimes de guerre et
condamné en première instance à 27 ans de prison. Enfin, le 30 mai
2013, c’était au tour de l’ancien chef du renseignement serbe Jovica Stanisic
et de son adjoint Franko Simatovic d’être acquittés. Ces deux personnages-clés
du régime de Slobodan Milosevic étaient poursuivis pour leur rôle dans le
massacre de Srebrenica en juillet 1995, où les « Scorpions », une unité spéciale
de la police placée sous leur responsabilité hiérarchique directe, avait joué
un rôle essentiel.
Cette
longue série d’acquittements pourrait s’expliquer par l’abandon du principe de
la responsabilité de commandement, initialement privilégié par le TPIY pour
éviter de juger uniquement les responsables subalternes. A l’initiative d’un
tel revirement se trouverait le juge américain Theodor Meron, président du TPIY
entre 2003 et 2005, et à nouveau depuis 2011, qui a notamment été
l’objet d’une lettre virulente de la part d’un ancien juge danois, Frederik
Harhoff. On sait les Etats-Unis particulièrement hostiles au principe même
d’une justice internationale pénale permanente en général et au principe de la
responsabilité de commandement en particulier, qui pourrait être retenue contre
eux dans des conflits comme en Irak ou en Afghanistan.
Vojislav Seselj, Reuters, avril 2016
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