Emmanuel GOFFI
Le Conseil de sécurité vient de rejeter la résolution soumise aux Nations Unies par la France, le 6 juin dernier, pour autoriser, sous le chapitre 5 de la Charte de l'ONU, le déploiement d’une force conjointe africaine dans la bande sahélo-saharienne. Cette force, qui devait inscrire son action dans le cadre du G5 Sahel réunissant le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, aurait eu pour mission de compléter à la fois l’action de l’opération militaire française antiterroriste Barkhane et l’action de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Forte de 5 000 hommes, cette force conjointe devait réunir des militaires des pays du G5 pour lutter contre le terrorisme dans les zones transfrontalières, mais également pour combattre le crime organisé qui, au travers de divers trafics, facilite le financement des groupes armés terroristes (GAT).
Cette proposition de résolution doit être comprise comme une conséquence de l’impuissance de Paris face au terrorisme dans la région. Si les ambitions initiales de la France étaient d’éradiquer les GAT au Sahel comme l’avait annoncé le président François Hollande, il semble que face à la recrudescence des attaques et à la multiplication des groupes terroristes dans la région, Paris se soit résolu à maintenir la pression sur ces groupes et à contenir leur développement et limiter leur marge de manœuvre.
Près de trois ans après le lancement de l’opération française Serval, déployée au Mali à la demande du président malien par intérim Dioncounda Traoré, les résultats du déploiement français sont loin d’être concluants. Si la France peut s’enorgueillir d’avoir stopper l’avancée des terroristes vers Bamako grâce à Serval début 2103, l’efficacité de l’opération Barkhane qui lui a succédé le 1er août 2014 est contestable. Une récente note de position conjointe de la Fédération internationale des ligues droits de l’Homme (FIDH) et de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH) souligne d’ailleurs « la multiplication des groupes armés et leurs liens complexes » avec pour corollaire « un niveau d’insécurité sans précédent » au Mali.
De fait, la situation devient délicate pour Paris qui, outre son action antiterroriste, œuvre à « l’appropriation par les pays partenaires du G5 Sahel de la lutte contre les Groupes armés terroristes (GAT), sur l’ensemble de la Bande sahélo-saharienne (BSS) » comme l’indique le site internet du ministère de la Défense français. Cette volonté de se retirer après avoir remis les clés de la sécurité de la zone aux pays du G5 doit, par ailleurs, être nuancée au regard de la déclaration du président français Emmanuel Macron le 9 juin dernier à Gao, où il affirmait que la France ne se retirerait que « le jour où il n'y aura plus de terroristes islamistes dans la région ». On voit là les réminiscences de l’ambigüité de la politique étrangère française en Afrique avec une volonté de ne pas y rester tout en s’y installant.
La mise en place de la force conjointe, dont la création avait été décidée à l’occasion du deuxième sommet des chefs d’Etat du G5 à Ndjamena le 20 novembre 2015, permettrait donc à la fois de délester un peu les 3 500-4 000 hommes de Barkhane, de les aider dans leur mission de lutte antiterroriste, mais également d’envoyer un signal à la communauté internationale, et notamment aux pays africains, quant à la volonté française de passer le relais. De là à en conclure à un retrait français, il est un pas qu’il serait délicat de franchir.
Toutefois, la mise en place de la force conjointe se heurte à un contexte géopolitique fortement contraint par les décisions américaines. A ce titre, la volonté du président américain Donald Trump de réduire la voilure des dépenses étatsuniennes en matière d’opérations de maintien de la paix ne favorise pas la France dont la proposition de résolution est tout simplement rejetée avec l’assentiment, sans surprise, des Britanniques.
D’autre part, le financement de la force semble également poser problème. En dépit des promesses d’aides de l’Union européenne, qui voit dans la stabilité de la région une possibilité de limiter l’afflux de migrants, il reste dépendant du bon vouloir des différends acteurs qui, pour certains, regardent du côté américain avant de se décider.
On le voit, bien des obstacles non négligeables doivent être surmontés avant que la force conjointe ne voie le jour. Pourtant, la volonté des dirigeants des pays du G5 Sahel de voir ce projet de force conjointe se réaliser d’ici la fin de l’année, a été réaffirmée en février dernier. C’est, en effet, à l’occasion de la Conférence des Chefs d’Etat du G5 Sahel à Bamako, que la demande de « résolution des Nations Unies et du Conseil de sécurité pour appuyer la création de cette force » a été faite par le président du Niger, Mahamadou Issoufou. C’est également à cette occasion qu’a été requise l’aide financière de l’Union européenne.
En tout état de cause, cette force serait bienvenue, bien qu’elle n’aurait qu’un impact marginal. Même accompagnée des 4 000 militaires de Barkhane, elle resterait insuffisante pour lutter à la fois contre le terrorisme et contre le crime organisé sur une zone de 5 millions de kilomètres carrés soit 7,6 fois l’ensemble du territoire français ou la moitié du Canada.
Quoi qu’il en soit, la proposition de résolution française est rejetée en raison de l’opposition des États-Unis et, de celle sans réelle surprise du Royaume-Uni. Si l’administration américaine reconnait l’intérêt d’une telle force, elle réfute l’utilité d’un assentiment des Nations Unies au travers d’une résolution et considère que le G5 devrait agir sans mandat, à l’image de la Force multinationale mixte qui lutte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Cependant, il est important de souligner que la résolution du Conseil de sécurité est appelée de ses vœux par les membres du G5 Sahel eux-mêmes, soutenus par d’autres pays, dont la France et l’Italie.
Si selon l’ambassadeur français à l’ONU, François Delattre, « il serait irresponsable de la part du Conseil de ne pas se ranger derrière cette initiative régionale », pour les États-Unis le mandat trop large et imprécis de la force, risque de mener à des demandes de financement ultérieurs auxquels Washington se refuse au motif, certes de la réduction de sa participation financière aux opérations de maintien de la paix, mais également du soutien financier déjà accordé au G5 Sahel.
Au final, la situation reste suspendue à la décision américaine. Pendant ce temps, le Sahel continue d’être en proie à la violence, à l’instabilité, au terrorisme et aux trafics en tous genres. Alors que la France s’enlise et cherche un moyen de s’extraire d’une situation à l’horizon indéfini, et que le G5 Sahel tente de reprendre la main sur sa sécurité, la realpolitik bloque toute possibilité de s’acheminer vers une quelconque appropriation. Pourtant, bien qu’il demeure problématique, les Nations Unies font de ce processus de transfert de responsabilité un critère déterminant de la stabilisation de la région et, plus largement, de résolution des crises.
MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale (http://reseau-multipol.blogspot.com)
19 juin 2017
NOTE : Force militaire conjointe au Sahel : quand la politique internationale dépend du bon vouloir des États-Unis
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