11 novembre 2018

NOTE : Les bombes de 1914 sont toujours dans les plaines françaises...

Jean-Marie COLLIN

Cent ans après la Première Guerre mondiale, nous pourrions croire que tout est terminé, que nous sommes uniquement dans le temps de l’histoire. Malheureusement, ce n’est qu’une vue de l’esprit ou, pire, une volonté criante de vouloir nier l’horreur de la survivance de la guerre. Oui, celle-ci est encore bien vivante ; non plus entre les peuples, mais à travers un combat que mènent des hommes sur terre et en mer pour nous protéger des milliers de bombes et autres munitions non explosées, qui n’attendent qu’une chose...

Cette guerre de 1914, qui devait être une guerre éclair, a commencé à s'enliser dès la fin de l'année 1914, le long d’une ligne qui va s’étendre du front de la mer du Nord à la Suisse. Cela impliqua rapidement de constituer des tranchées, de les fortifier et de les protéger par des mitrailleuses et autres Crapouillot (un mortier de tranchée). Des systèmes de défense passive sont également installés : barbelés, sacs de sable, pieux et chevaux de frise. Enfin, de simples fils de fer tendus auxquels sont suspendues des boîtes de conserve pouvaient aussi constituer l’une des meilleures alarmes pour prévenir de l’intrusion d’un ennemi. Pour déloger l’ennemi, ou tout au moins tenter de le faire, pas moins d’un milliard d’obus a été utilisé ; c’est une guerre d’artillerie lourde, extrêmement soutenue....

La bataille de Verdun en est l'un des exemples les plus marquants du point de vue de l’intensité des combats. La campagne de bombardements massive s'est traduite par le tir, chaque jour, de 150.000 obus, provoquant un remaniement considérable des sols. Pendant dix longs mois, du 21 février au 18 décembre 1916, des milliers de soldats vont s’affronter et résister aux différents assauts. Le bilan marquera à jamais les esprits : 305.000 morts et disparus, 400.000 blessés, français et allemands confondus. Cette bataille, elle, marquera à jamais la topographie des lieux, les explosions remodelant complètement la géographie de cette ville, des villages alentours (certains étant totalement rasés comme Bezonvaux, Ornes, ou Douaumont), des plaines et des forêts.

Faire face à la guerre massive

L’invention de nouvelles armes lors d’une guerre n’est pas, en soit, un fait novateur. Ainsi, en raison du type de conflit, de la géographie, de sa durée dans le temps, toute l'armée va devoir concevoir ou adapter ses systèmes d'armes. Ces innovations ont obligatoirement des répercussions dans d’autres domaines, notamment celui de la médecine. Le médecin doit aussi s’adapter, créer de nouveaux instruments et méthodes de soins pour faire face aux blessures d’un genre nouveau reçues par les soldats.

La mort est l’élément central d’une guerre, mais ce premier conflit du XXe siècle sera marqué par la quantité phénoménale de blessés. Sur les huit millions de soldats mobilisés par la France, on dénombrera trois millions de blessés, 40% d’entre eux le seront au moins une fois, mais une majorité le seront deux fois, voire à plusieurs reprises. L’exemple le plus connu est celui du jeune lieutenant, Charles de Gaulle, qui sera blessé à la jambe le 15 août 1914 à Dinant, puis à la main gauche à Mesnil-les-Hurlus le 10 mars 1915, et enfin à la cuisse, lors de la bataille de Verdun à Douaumont, le 2 mars 1916, où il sera même laissé pour mort... Ces blessures sont très souvent profondes, obligeant parfois à réaliser des amputations. Il faut dire que le pilonnage incessant des tranchées, l’emploi d’obus à balles, puis d’obus chargés d’explosifs très puissants engendre de lourdes séquelles. En explosant, ces obus projettent des centaines de billes ou se fragmentent venant tout faucher sur leur passage. Pour ceux qui en réchappent, il est urgent de retirer ces bouts de métaux littéralement plantés dans le corps.

Devant la recrudescence de ces blessures, les médecins militaires vont alors utiliser, du moins pour ceux qui en étaient pourvus, une technologie assez nouvelle pour l’époque. Elle permettra de sauver bien des vies dans des cas particulièrement compliqués. Le doigtier audioscopique (encore dénommé « Explorateur de la Baume-Plunivel » du nom de son inventeur) va devenir une des « armes » des médecins de guerre. Le principe est assez simple : le médecin introduit sur son index un petit doigtier en caoutchouc et installe sur ses oreilles, un casque dit téléphonique, que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’écouteur. Patiemment, il va explorer la plaie en déplaçant son doigt. Dans le même temps, un son plus ou moins important lui indiquera sa proximité avec l’éclat métallique, lui assurant ainsi de pouvoir l’enlever parfaitement et totalement.

Cette technique va trouver un autre débouché, celui du détectage des obus non-explosés présents dans les terrains boueux. En effet, pas moins d’un obus sur quatre utilisés n’explosait pas ! Ces résidus explosifs de guerre constituaient par conséquent un danger permanent, des sortes de mines antipersonnel ; une arme, à cette époque, qui n’en n’était qu’à ses tristes débuts…

Un premier détecteur de métal, de taille humaine, fut inventé et expérimenté par M. Guitton, professeur de physique. Reposant sur cette technologie il était constitué de deux imposants disques aimantés (au moins 50 cm de diamètre), fixés sur un système de balancier, reliés à une source électrique. L’opérateur, équipé d’un casque sur les oreilles savait s’il est en présence d’une source métallique, non seulement grâce au son produit, mais aussi en raison de l’inclinaison exercée par le disque sur la zone dangereuse. D’après les données existantes, ce système nommé « Alpha » pouvait détecter une masse métallique d’un poids de 10 kg, et ce, jusqu'à une cinquantaine de centimètres. Cette innovation, malheureusement, va avoir de beaux jours devant elle, 250 millions d'obus tirés pendant ce conflit n’ayant pas explosé...

Une lutte sans fin


Commencé au lendemain du 11 novembre 1918, le déminage ou plutôt le désobusage, comme l’on disait alors, est toujours en cours 100 années après le premier coup de feu, le 3 août 1914. Des hommes de la sécurité civile (307 exactement, dont la devise est « Réussir ou périr ») continuent chaque année sur des zones du territoire national (principalement dans les régions frontalières avec l’Allemagne et la Belgique, comme en mer) à livrer un combat qui devrait durer au moins 700 ans selon les estimations !

Les démineurs sont clairement devenus les derniers « soldats » à livrer bataille sur le sol hexagonal. Chaque année, ils déterrent et découvrent au fond des mers des trésors, que personne ne voudrait voir ressortir : des milliers de mines, d’obus, de bombes, de grenades, de munitions. Tous ces engins qui n’ont pas explosé, qui ont été cachés, oubliés, entreposés (par exemple 3.000 tonnes d'obus dans le Gouffre de Jardel, Doubs, en 1919) ou abandonnés, sont issus de la Guerre de 1914-1918, mais aussi de notre « héritage » des guerres précédente et successive menées contre l’Allemagne (1870-1871 et 1939-1945).

Leur nombre exact est tout simplement incalculable. Seule certitude : entre 1945 et 2000, plus de 660.000 bombes, 13,5 millions de mines et 24 millions d'obus et d'engins divers ont été découverts, neutralisés et détruits. Heureusement, depuis le début des années 1980, le rythme moyen de découverte de 1000 tonnes de munitions par an a été divisé plus ou moins par deux, avec notamment 491 tonnes de munitions collectées en France en 2010.

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Z pour zones rouges

« Un voyage à travers les régions dévastées de la France est plus impressionnant pour les yeux et l'imagination qu'il n'est possible de le dire. Durant l'hiver de 1918-1919, avant que la nature ait dissimulé la scène sous son manteau, l'horreur et la désolation apparaissaient aux yeux avec une grandeur effroyable. La destruction était complète. Sur des kilomètres et des kilomètres, rien ne subsistait. Nul bâtiment ne pouvait être habité, nul champ ne pouvait être labouré. Une région dévastée était exactement pareille à une autre : un tas de gravats, un marécage de trous d'obus, des fils de fer tout embrouillés. Et cette similitude était impressionnante. La quantité de travail qui semblait nécessaire pour restaurer de telles régions semblait incalculable ». Cette description des zones françaises de guerre est issue du livre Les conséquences économiques de la paix, publié en 1920 par John Maynard Keynes.

Il faut bien avoir à l’esprit que l’intensité des combats a totalement et profondément remodelé des territoires entiers. Devant la nécessité de rendre ces terres aux paysans, de reloger les populations déplacées, de nettoyer les zones à risques, le ministère des Régions libérées, en lien avec celui de l’Armée, a décidé, le 1er février 1919 (loi du 17 avril 1919), de catégoriser les zones en bleues, jaunes et rouges selon l’importance des destructions. Les deux premières zones ont subi peu ou moyennement de dommages. La zone est dite rouge en raison de sa dangerosité, à cause de la présence de munitions non explosées, de l’impossibilité de cultiver les terres du fait de la présence de milliers de détritus ferreux (fragment d’obus, fils barbelés, etc, etc) et de leur extrême pollution, une pollution au plomb, au mercure, aux gaz de combat, mais due aux milliers de cadavres, de restes humains ou d’animaux qui pourrissent et se décomposent. En 1919, cette zone recouvrait 13 départements (le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme, l’Oise, la Seine-et-Marne, l’Aisne, les Ardennes, la Marne, la Meuse, les Vosges, la Moselle, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin), soit 120.000 hectares, que l’Etat rachètera, parfois non sans mal, à leurs propriétaires.

Mais la pollution de ces terres posa rapidement des problèmes. En effet, les eaux de ruissellement, les nappes souterraines vont être affectées. Une vaste opération de nettoyage sera alors réalisée à l’aide de nouvelles techniques de dépollution et de restauration des sols à grande échelle. Ce sera la « verdunisation », un procédé de désinfection de l'eau, consistant à purifier l’eau en diluant de l’eau de javel. Cette opération tire son nom de la ville de Verdun, où elle fut réalisée en premier.

Depuis 1919, cette zone a été fortement réduite et couvre actuellement plus ou moins 21.000 hectares, qui sont totalement impossibles à nettoyer et constituent désormais des vestiges de guerre.



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