Le 18 septembre, les Pays-Bas ont annoncé leur décision de tenir la Syrie pour responsable, en vertu du droit international, de « violations flagrantes des droits humains », une décision qui pourrait conduire la Cour internationale de Justice (CIJ) à se prononcer sur la responsabilité de Damas.
C’est par le biais d’une note diplomatique adressée à l’ambassade de Syrie à Genève que les Pays-Bas accusent officiellement le régime syrien d’avoir commis de graves violations des droits humains et, plus précisément, d’avoir violé à grande échelle la Convention des Nations Unies contre la torture. En ce sens, les Pays-Bas estiment que, « par son incapacité à prévenir et à punir les actes de torture commis par ses agents publics ou toute autre personne agissant à titre officiel, [la Syrie] a violé plusieurs obligations consacrées dans la Convention contre la torture ».
L’invocation de cette convention n’est pas fortuite. Adoptée en 1984 et entrée en vigueur en 1987, elle a atteint aujourd’hui une portée quasi-universelle avec 171 États parties, dont les Pays-Bas, depuis 1988, et la Syrie, depuis 2004.
Selon son article 1er, « le terme ‘torture’ désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite » (§1).
Par ailleurs, la Convention contre la torture prévoit que tout État partie s’engage non seulement à prendre « des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction » (art. 2, §1), mais également à veiller « à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal » (art. 4 §1). S’agissant d’une norme absolue, reconnue par la CIJ comme ayant « le caractère de norme impérative (jus cogens) » dans son arrêt de 2012 sur les Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal) (§ 99), la Convention contre la torture prévoit également qu’ « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture » (art. 2 §2).
C’est sur la base de cette Convention que les Pays-Bas demandent au régime syrien de cesser les crimes et d’accorder aux victimes des réparations pour ces faits internationalement illicites. « Il y a largement assez de preuves qui montrent que le régime syrien s’est rendu coupable à grande échelle de violations des droits de l’homme, et notamment de torture », a déclaré le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, lors d’une conférence de presse le 18 septembre. Et d’ajouter : « Ce n’est qu’en tenant les auteurs pour responsables qu’une solution politique durable est possible » en Syrie. Dans le même sens, le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Stef Blok, a également proclamé dans un communiqué que « Le régime [du président] Assad a commis des crimes horribles à maintes reprises. Les preuves sont accablantes. Il doit y avoir des conséquences » précisant, en particulier, que « Le régime d’Assad n’a pas hésité à sévir contre sa propre population, en utilisant la torture et des armes chimiques, et en bombardant les hôpitaux ».
Il est prévu par l’article 30 de la Convention contre la torture que : « Tout différend entre deux ou plus des États parties concernant l'interprétation ou l'application de la présente Convention qui ne peut pas être réglé par voie de négociation est soumis à l'arbitrage à la demande de l'un d'entre eux. Si, dans les six mois qui suivent la date de la demande d'arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre d'accord sur l'organisation de l'arbitrage, l'une quelconque d'entre elles peut soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en déposant une requête conformément au Statut de la Cour ».
Conformément à cette disposition, les Pays-Bas qui, en leur qualité d’État partie, s’estiment lésés par le non-respect de ladite Convention, proposent de négocier avec la Syrie, la négociation se présentant comme une première étape en vue de régler le différend.
Si le régime syrien ne devait pas donner suite, ce qui est fort probable, les Pays-Bas proposent encore de constituer une cour d’arbitrage, procédure exigeant l’accord des deux parties qui, là encore, risque de se heurter à un refus syrien.
Dans son communiqué, le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Stef Blok, a d’ores et déjà averti que si les deux pays ne parvenaient pas à un accord sur cette question, les Pays-Bas soumettraient l’affaire devant un tribunal international. S’ils ne précisent pas lequel, la Convention contre la torture offre la possibilité pour les Pays-Bas de saisir la CIJ. Si celle-ci est dépourvue de compétence générale, elle pourrait être saisie sur le fondement juridique de l'article 30 de la Convention contre la torture, le régime syrien n'ayant pas émis de réserve à cet égard.
En 2016, un veto russe au Conseil de sécurité avait empêché que la Cour pénale internationale (CPI) se saisisse de la situation en Syrie. Cette procédure, déjà utilisée dans le passé pour les situations du Soudan (Darfour) en 2005 et de la Libye en 2011, aurait permis à la CPI d’établir les responsabilités individuelles en jugeant les personnes accusées de crimes internationaux. La voie de la CPI étant peu probable, le gouvernement néerlandais – peut être motivé par son souhait de redorer une image ternie par les événements de Srebrenica, voire par certaines actions militaires critiquables juridiquement – voudraient aujourd’hui que la CIJ se saisisse du cas syrien.
Alors que, selon une approche classique du droit international, on pourrait conclure au défaut d’intérêt à agir des Pays-Bas, une approche contemporaine admet que les États parties à un traité reconnaissant des droits humains ont un intérêt à ce que celui-ci soit respecté de bonne foi. C’est précisément dans cette veine que, le 11 novembre 2019, la Gambie a saisi la CIJ contre le Myanmar, en raison de violations alléguées de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, ratifiée par les deux États.
Déclenchée en 2011 par la répression de manifestations pro-démocratie, le conflit en Syrie a tué plus de 380 000 personnes et déplacé des millions de personnes dans le pays et à l’étranger. Ces dernières années, Damas a reconquis une grande partie du territoire national aux rebelles et aux djihadistes de Daech avec le soutien de la Russie et de l’Iran, tandis que les États-Unis et l’Union européenne ont imposé des sanctions économiques contre le régime syrien et des entités qui lui sont liées.
Si le régime syrien ne devait pas donner suite, ce qui est fort probable, les Pays-Bas proposent encore de constituer une cour d’arbitrage, procédure exigeant l’accord des deux parties qui, là encore, risque de se heurter à un refus syrien.
Dans son communiqué, le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Stef Blok, a d’ores et déjà averti que si les deux pays ne parvenaient pas à un accord sur cette question, les Pays-Bas soumettraient l’affaire devant un tribunal international. S’ils ne précisent pas lequel, la Convention contre la torture offre la possibilité pour les Pays-Bas de saisir la CIJ. Si celle-ci est dépourvue de compétence générale, elle pourrait être saisie sur le fondement juridique de l'article 30 de la Convention contre la torture, le régime syrien n'ayant pas émis de réserve à cet égard.
En 2016, un veto russe au Conseil de sécurité avait empêché que la Cour pénale internationale (CPI) se saisisse de la situation en Syrie. Cette procédure, déjà utilisée dans le passé pour les situations du Soudan (Darfour) en 2005 et de la Libye en 2011, aurait permis à la CPI d’établir les responsabilités individuelles en jugeant les personnes accusées de crimes internationaux. La voie de la CPI étant peu probable, le gouvernement néerlandais – peut être motivé par son souhait de redorer une image ternie par les événements de Srebrenica, voire par certaines actions militaires critiquables juridiquement – voudraient aujourd’hui que la CIJ se saisisse du cas syrien.
Alors que, selon une approche classique du droit international, on pourrait conclure au défaut d’intérêt à agir des Pays-Bas, une approche contemporaine admet que les États parties à un traité reconnaissant des droits humains ont un intérêt à ce que celui-ci soit respecté de bonne foi. C’est précisément dans cette veine que, le 11 novembre 2019, la Gambie a saisi la CIJ contre le Myanmar, en raison de violations alléguées de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, ratifiée par les deux États.
Déclenchée en 2011 par la répression de manifestations pro-démocratie, le conflit en Syrie a tué plus de 380 000 personnes et déplacé des millions de personnes dans le pays et à l’étranger. Ces dernières années, Damas a reconquis une grande partie du territoire national aux rebelles et aux djihadistes de Daech avec le soutien de la Russie et de l’Iran, tandis que les États-Unis et l’Union européenne ont imposé des sanctions économiques contre le régime syrien et des entités qui lui sont liées.
Catherine MAIA, « Les Pays-Bas prêts à poursuivre la Syrie pour torture devant la justice internationale », Multipol, 19 septembre 2020
Mark Rutte @AP
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