12 juin 2016

REVUE : "Quelle politique étrangère de gauche pour la France ?", Recherches internationales (n°105, octobre-décembre 2015)

Michel ROGALSKI

Lors de notre centième numéro, nous avions choisi d’interroger la diplomatie française. Constat accablant largement partagé et qui concluait sur l’idée que le mandat Hollande, loin de revenir sur l’inclinaison néo-conservatrice de Nicolas Sarkozy, en avait poursuivi les orientations essentielles. Pire, s’agissant de la Syrie, il avait tenté d’entraîner le gouvernement Obama dans une aventure guerrière, et devant l’échec de sa manoeuvre avait dû procéder à un rétropédalage peu glorieux. Le tropisme pro-israélien était vite apparu lors de l’été 2014. Face à l’offensive israélienne contre Gaza, l’Élysée avait alors manifestement fait part de sa compréhension pour cette action en « condamnant fortement » les tirs de roquettes du Hamas et en ajoutant qu’il « appartenait au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces ». Sur les principaux dossiers, à côté de la France, Barack Obama fait figure de modéré et nous apparaissons comme ses neocons. En trois premières années de mandat présidentiel, la France s’est retrouvée engagée dans trois guerres ! Un tel constat nous avait fait dire qu’en matière de diplomatie, Guy Mollet était de retour.

Ce jugement sévère nous responsabilise. Après le bilan, vient le temps des propositions. Quelle politique étrangère la gauche pourraitelle porter ? Comment rompre, se démarquer, ouvrir une perspective qui porte sur la scène internationale des valeurs de gauche ? Une telle politique a-t-elle jamais eu lieu ? Finalement, le consensus gaullomitterrandien, incarné par la diplomatie d’Hubert Védrine, et pouvant se résumer dans notre rapport aux États-Unis par le fameux « alliés, mais pas soumis », peut-il être dépassé ?

Enjeu de réflexion stimulant ! C’est autour de cette problématique que s’est construit ce dossier.  Délibérément, c’est à la même question qu’il a été demandé à chaque auteur sollicité de réfléchir. Bien sûr chacun a répondu, à partir de ses expériences, de ses compétences, de ses préoccupations. Et c’est heureux, car évitant les redites trop nombreuses, la réflexion s’est élargie et a même questionné la pertinence de la question. Preuve de l’absence de tabous. Engagée, l’interrogation doit être poursuivie.

Michel Rogalski, « Quelle politique étrangère de gauche pour la France ? »
(Présentation)


 ***

Le dernier scandale révélé par les « Panama papers » ont à nouveau braqué les projecteurs sur ce qui par définition doit rester discret, voire secret pour les opinions publiques qui ne doivent rien savoir des malversations à maintenir cachées. Beau coup pour les lanceurs d’alerte !

Aujourd’hui, tout le monde l’admet. L’économie mafieuse internationale ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui. Rapports, travaux et révélations s’accumulent, confirmant tous l’extraordinaire dynamisme de ces activités particulières ayant réussi à infiltrer des secteurs d’une extrême diversité. Ayant appris très vite à apprivoiser la mondialisation, des réseaux mafieux se sont organisés et maillent désormais la planète, se jouant des frontières et des différences de législation. Ils ont su prendre comme modèle la façon dont les firmes transnationales les ont précédés en la matière.

Profitant de l’aubaine qu’a représentée l’explosion de la mondialisation libérale et financière depuis quelques décennies, ces réseaux en ont utilisé tous les rouages et en sont devenus, à travers de vastes opérations de blanchiment, des interlocuteurs quasi officiels. Car il faut bien profiter de ce qu’a rapporté son crime et utiliser en toute légalité ce qui a été acquis illégalement. Ainsi la libéralisation financière permet aux gagnants de la dernière vague de mondialisation de se rapprocher dans un bénéfice réciproque permettant aux uns de jouir de leur forfait moyennant une dîme raisonnable et aux autres d’accroître leurs profits et de pouvoir bénéficier d’une manne douteuse qui viendra gonfler leur trésorerie déjà bien confortable. Tout cela au détriment des perdants de la mondialisation, les États et leur souveraineté, les peuples et la démocratie. N’oublions jamais que la mondialisation est devenu le processus, présenté comme naturel, qui permet de faire ailleurs, sans entrave, ce qui est devenu interdit dans son pays grâce à l’élévation d’acquis sociaux. Nombreux, hélas, sont les pays qui s’inscrivent dans ce mécanisme en valorisant les pires aspects de leur attractivité, les mettant ainsi en concurrence.

Le dernier scandale que révèle la presse mondiale et accusant le Panama de jouer un rôle pivot dans le fonctionnement de cette économie maffieuse confirme tout ce que les spécialistes avaient largement décrit. Ce scandale des « Panama papers » paraît énorme parce qu’il ne concerne qu’une seule société – la Mossack Fonseca – et que l’on sait que c’est par milliers que de telles officines prospèrent. Certains clients devant émarger à plusieurs.

Peu de domaines échappent à ces activités mafieuses. Commerces et trafics illicites ont de tout temps accompagné drogues et armes et généré d’immenses profits aussitôt réinvestis et étendus à d’autres secteurs lucratifs comme l’immobilier ou le tourisme. La prostitution, dont les profits ont servi à alimenter l’argent du banditisme et des gangs, s’est organisée en réseaux internationaux pratiquant le trafic d’êtres humains. La dislocation des Balkans et les soubresauts de l’Europe de l’Est ont ainsi dynamisé les réseaux de prostitution sur le continent, ainsi que ceux se livrant au trafic d’armes. Certaines zones se sont trouvé des spécialisations liées à des ressources naturelles comme l’héroïne en Asie, la cocaïne en Amérique latine, le hachich au Maghreb. D’autres ont profité de l’aubaine d’être sur des trajets utiles et ont prélevé des dîmes générant corruption et économie mafieuse. Les flux migratoires ont été immédiatement « accompagnés » de réseaux de passeurs et de fournisseurs de faux documents aussi bien durant le voyage qu’à l’arrivée. Candidats à l’exil et migrants sont aujourd’hui livrés à ce racket qui s’est organisé en réseaux. Les raretés, les réglementations, les fluctuations de prix se révèlent être des aubaines dans lesquelles s’engouffrent les trafiquants en tout genre, de métaux, d’organes humains, d’œuvres d’art. La contrefaçon est sortie de son domaine traditionnel des biens de luxe en inondant le marché de faux médicaments, causant des victimes chez les populations les plus démunies. Les grandes manifestations sportives et les grands clubs sportifs sont ouvertement suspectés de pratiques corruptives. L’informatique et les réseaux Internet sont devenus des supports d’activités délictueuses dont les auteurs ont toujours un coup d’avance sur leur parade. La fraude fiscale sur les profits ou sur la TVA prospère même sur les marchés des permis négociables des émissions de gaz à effet de serre, occasionnant de lourdes pertes de recettes aux États. Les paradis fiscaux sont certes de mieux en mieux recensés et cèdent peu à peu aux pressions internationales, mais restent toujours actifs au service tout à la fois des malfrats, des firmes, d’une minorité des plus riches, des banques et des États dont les plus grands protègent jalousement les leurs, les estimant nécessaires à leur prospérité économique.

Toutes ces activités ont besoin pour se développer de gagner des appuis et doivent donc laisser quelques miettes de leurs profits en corrompant pour s’assurer de protections nécessaires. Cette gangrène s’est développée à l’échelle de la planète et a affecté certains États à un niveau tel que l’on peut alors parler d’une véritable osmose entre milieux mafieux et pouvoirs dès lors que nouveaux maîtres de guerre et parrains dialoguent d’égal à égal avec les responsables politiques. Cette image de marque colle à la réputation de certains pays.

Au coeur même de l’Europe, des micro ou pseudo-Etats ont trouvé leur raison d’être. Mais surtout le Luxembourg en a fait sa spécialisation internationale. Monsieur Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commission européenne, était Premier ministre et président de l’Eurogroupe lorsque son pays s’est engagé dans cette voie en négociant des avantages fiscaux particuliers aux firmes européennes, leur permettant d’échapper aux fiscalités plus élevées de leur pays d’origine – le mécanisme du « tax ruling ». Ceci s’est traduit par un manque à gagner de recettes fiscales dans des pays accusés dans le même temps de déficits budgétaires trop élevés. Ainsi la main droite menaçait ceux qui étaient victimes des conséquences de ce qu’avait fait la main gauche. Hypocrisie ! Partout les États et les populations souffrent de ces pratiques dont l’idéologie dominante favorise la progression et qui restent encore insuffisamment réprimées.

Le pire, c’est que la plupart de ces activités respectent les règles légales et sont conseillées par maints cabinets d’avocats qui ont vite vu un filon de spécialisation, au point d’être devenus des rouages organiques annexes du système mis en place.

Le contrôle de la libéralisation de la finance, qui a joué un rôle central dans la montée de ces activités mafieuses et criminelles, doit constituer un levier décisif pour faire reculer ce fléau dont l’ampleur menace tout à la fois la souveraineté des États, l’exercice même de la démocratie et la morale publique. Les places financières offshore – les paradis fiscaux – ont proliféré et constituent le point d’arrivée de ces activités délictueuses. Tout y converge, s’y dissimule, y brouille les pistes et en repart à l’assaut de nouvelles affaires. Aujourd’hui des propositions diverses ont vu le jour, à commencer par celle qui recommande d’établir un cadastre financier mondial des titres financiers, actions, obligations et produits dérivés, dans le souci d’une plus grande transparence.

Ces scandales ne sont jamais révélés par la puissance publique. En France, depuis 1977, seuls les ministres du Budget disposent du monopole d’engager l’action publique pour poursuivre les fraudeurs fiscaux. Tout s’organise dans la discrétion de leur administration. Les juges ne peuvent ainsi s’autosaisir. C’est parfois au détour d’une procédure de divorce ou d’une succession conflictuelle que le pot aux roses est découvert. Mais c’est surtout grâce au rôle des lanceurs d’alerte que la vérité éclate. Ils doivent pouvoir bénéficier d’un statut protecteur et non pas être poursuivis.
  
Michel Rogalski, « Mafias, crime organisé, corruption et paradis fiscaux »
(Editorial)




TABLE DES MATIERES
Michel Rogalski
Mafias, crime organisé, corruption et paradis fiscaux [Éditorial]
Christophe Chiclet
L’épopée de la Rojava

DOSSIER : QUELLE POLITIQUE ÉTRANGÈRE POUR LA FRANCE ?
Michel Rogalski
Présentation
Michel Rogalski
Diplomatie française : des enjeux internes et externes qui ne coïncident pas toujours
Alain Obadia
Que pourrait être une « politique étrangère de gauche » pour la France ?
André Bellon
Y a-t-il une politique étrangère de gauche ?
Robert Charvin
L’utopie et l’improbable et la politique extérieure de la France
Alain Joxe
Contrer l’hégémonie globale du système financier – Un examen stratégique
Nils Andersson
Pour une identité diplomatique de la France en matière de défense
Francis Wurtz
Qu’est-ce que pourrait être une politique étrangère de gauche pour la France ?
Lucile Schmid
Politique étrangère de gauche, le bel avenir de l’idéalisme

TRACES
Taher El Qassentini
Ferhat Abbas ou la quête inachevée

REPÈRE
Léopold Nyabeyeu Tchoukeu
L’Afrique et la Cour pénale internationale

NOTE
Rachid Tlemçani
La crise de l’Etat-nation au Maghreb : défis et enjeux

NOTES DE LECTURE
Jean Birnbaum, Un silence religieux: la gauche face au djihadisme [Michel Rogalski]
Michel Bruneau, De l’Asie mineure à la Turquie [Christophe Chiclet]
Pierre Blanc et Paul Chagnollaud, Atlas du Moyen-Orient. Aux racines de la violence [Christophe Chiclet]
Maurice Buttin, Ben Barka, Hassan II, De Gaulle: ce que je sais d’eux [Jacques Le Dauphin]

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