Catherine MAIA
La Cour pénale internationale (CPI) a jugé, le 6 juillet,
que l'Afrique du Sud avait manqué à ses obligations internationales en
n'arrêtant pas sur son sol en juin 2015 le président soudanais Omar el-Béchir,
poursuivi pour génocide au Darfour. Ce message a pour objectif d'envoyer un
signal aux pays membres de la CPI pour leur rappeler que leur coopération n’est
pas optionnelle.
Jamais inquiété jusqu'à présent, Omar el-Béchir est visé par
deux mandats d'arrêt internationaux émis par la CPI en 2009 et 2010 pour
génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au Darfour,
province de l'ouest du Soudan en proie depuis 2003 à une guerre civile qui a
fait 330 000 morts, selon l'ONU.
Une âpre bataille judiciaire sévit entre Pretoria et la CPI
depuis qu'à la mi-juin 2015 les autorités sud-africaines ont laissé Omar
el-Béchir rentrer chez lui, après sa participation à un sommet de l'Union
africaine à Johannesburg.
En permettant à son avion de décoller d'une base militaire,
le Gouvernement sud-africain, qui avait l'occasion de l'arrêter, "a choisi
de ne pas le faire", avait affirmé l'accusation en avril devant la CPI.
Or, selon les avocats de Pretoria, "il n'est et n'était
pas du devoir de l'Afrique du Sud, aux termes du droit international, d'arrêter
le chef en exercice d'un État non membre (de la Cour) comme M. Béchir".
Évoquant son "rôle de pacificateur sur le
continent", le Gouvernement sud-africain assure s'être retrouvé partagé
entre le respect des règles de la CPI et celui de sa propre législation nationale
qui garantit l'immunité présidentielle.
Avec cette décision, la CPI envoie ainsi "l'important
message que les États ne peuvent pas négocier [leurs] obligations en droit avec
la Cour", a affirmé à l'AFP Carsten Stahn, professeur de droit
international en criminologie à l'Université de Leiden.
Cela ne devrait toutefois pas changer la situation de
l'Afrique du Sud. Son président, Jacob Zuma, a en effet réitéré la semaine antérieure
les intentions de Pretoria de se retirer du Statut de Rome, bien qu'en février 2017
la justice sud-africaine avait ordonné au Gouvernement de revenir sur cettedécision.
Le président soudanais quant à lui, même si ses déplacements
sont réduits, continue de voyager dans certains pays sans être inquiété.
Khartoum a d'ailleurs annoncé que le Omar el-Béchir se rendrait à Moscou pour
la première fois en août 2017, en réponse à l'invitation de son homologue russe
Vladimir Poutine.
Les juges de la Chambre préliminaire II de la CPI, M. le juge Cuno Tarfusser, président, (au centre) M. le juge Chang-ho Chung (à droite) et M. le juge Marc Perrin de Brichambaut (à gauche), lors de l'audience du 6 juillet 2017 à La Haye, aux Pays-Bas. ©ICC-CPI
Le 6 juillet 2017, lors d'une audience publique, la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale (« CPI » ou « la Cour »), composée des juges Cuno Tarfusser, président, Chang-ho Chung et Marc Perrin de Brichambaut, ce dernier ayant publié une opinion individuelle minoritaire, a rendu une décision constatant que l'Afrique du Sud n'avait pas respecté ses obligations en ne procédant pas à l'arrestation et la remise d'Omar Al-Bashir à la Cour alors qu'il se trouvait sur le territoire sud-africain entre le 13 et le 15 juin 2015. Toutefois, la Chambre a estimé qu'il n'était pas nécessaire de renvoyer cette question à l'Assemblée des États parties (« AEP ») ou au Conseil de sécurité des Nations Unies (« CSNU »).
La Chambre a estimé que, aux fins de la situation au Darfour, le Soudan est dans une situation analogue à celle des Etats parties au Statut de Rome à la suite de la résolution du CSNU, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui déclenche la compétence de la Cour dans la situation au Darfour et impose au Soudan l'obligation de coopérer pleinement avec la Cour. En conséquence, étant donné que l'article 27-2 du Statut s'applique au Soudan, les immunités d'Omar Al-Bashir en tant que Chef d'Etat en vertu du droit international coutumier ne s'appliquent pas vis-à-vis des États parties au Statut de Rome dans l'exécution de la demande d'arrestation et de remise de la Cour pour des crimes relevant de sa compétence qui auraient été commis au Darfour (Soudan). La Chambre a donc constaté que les États parties au Statut de Rome ont le devoir d'exécuter les mandats d'arrêt émis par la Cour et de mettre en œuvre la demande de la Cour en vue de l'arrestation d'Omar Al-Bashir et de sa remise à la Cour. La Chambre a également ajouté que l'Accord sur la tenue du Sommet de l'Union africaine, selon ses propres termes, ne conférait pas d'immunité aux chefs d'État présents au Sommet. Enfin, la Chambre a constaté que les arguments soulevés par l'Afrique du Sud concernant les interactions avec la Cour entre le 11 et le 13 juin 2015 n'ont pas d'influence sur sa conclusion selon laquelle l'Afrique du Sud avait l'obligation d'arrêter Omar Al-Bashir et de le remettre à la Cour alors qu'il se trouvait sur le territoire sud-africain. Pour ces raisons, la Chambre a conclu que, en n'arrêtant pas Omar Al-Bashir qui alors se trouvait sur son territoire du 13 au 15 juin 2015, l'Afrique du Sud a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du Statut de Rome, empêchant ainsi la Cour d'exercer ses fonctions et pouvoirs en vertu du Statut dans le cadre de la procédure pénale engagée à l'encontre d'Omar Al-Bashir.
Néanmoins, la Chambre a considéré, compte tenu de son pouvoir discrétionnaire, qu'un renvoi du manquement de l'Afrique du Sud à l'AEP et/ou au CSNU n'était pas nécessaire. Pour parvenir à cette conclusion, la Chambre a estimé que l'Afrique du Sud était le premier État partie à demander à la Cour une décision finale sur l'étendue de ses obligations concernant l'exécution d'une demande d'arrestation et de remise d'Omar Al-Bashir. En outre, la Chambre n'était pas convaincue qu'un renvoi à l'Assemblée des États Parties et/ou au Conseil de sécurité soit nécessaire pour assurer la coopération de l'Afrique du Sud, compte tenu du fait que les tribunaux nationaux d'Afrique du Sud ont déjà constaté que l'Afrique du Sud a manqué à ses obligations en vertu de son cadre juridique interne et que toute autre question concernant les obligations de l'Afrique du Sud en vertu du Statut a été résolue par la Chambre dans sa décision du 6 juillet 2017.
La Chambre a pris sa décision à l'unanimité mais le juge Marc Perrin de Brichambaut a publié une opinion individuelle minoritaire expliquant que le Soudan et l'Afrique du Sud sont des Parties contractantes à la Convention sur le génocide. Les Parties contractantes à cette Convention ont implicitement renoncé aux immunités dont jouissent leurs fonctionnaires d'État, y compris les chefs d'État en fonction, aux fins de poursuites pour crime de génocide. Il est rappelé que la Cour a émis un mandat d'arrêt contre Omar Al-Bashir, après avoir constaté qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il serait responsable de crime de génocide. Il en découle que l'Afrique du Sud avait l'obligation d'arrêter et remettre Omar Al-Bashir à la Cour, car elle n'aurait pas agi de de façon incompatible avec les « obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité […] d'une personne […] d'un État tiers » au sens de l'article 98-1 du Statut.
Contexte : La situation au Darfour (Soudan) a été déférée à la Cour par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies dans sa résolution 1593 du 31 mars 2005. Le Procureur a ouvert une enquête en juin 2005. Le 4 mars 2009 et le 12 juillet 2010, la Cour a délivré deux mandats d'arrêt à l'encontre de Omar Hassan Ahmad Al-Bashir pour cinq chefs de crimes contre l'humanité (meurtre, extermination, transfert forcé de population, torture et viol), deux chefs de crimes de guerre (fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités et pillage), et trois chefs de génocide à l'encontre des groupes ethniques des Four, Masalit et Zaghawa.
Pour plus d'information sur cette affaire, veuillez cliquer ici.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire