Catherine MAIA
La Cour pénale
internationale (CPI) a indiqué, le 8 avril, qu’elle n’ouvrira pas, « au stade
actuel », d’enquête sur des crimes présumés commis par le groupe Etat
Islamique en Irak et en Syrie, dont le génocide, car elle n’en a pas la
compétence.
Mais l’Irak
et la Syrie n’ont pas ratifié le traité fondateur de la CPI, le Statut de Rome de 1998,
ce qui donnerait compétence à la CPI pour ouvrir une enquête de son propre chef,
a rappelé Mme Bensouda.
Elle a
certes indiqué que la CPI avait la compétence pour poursuivre certains des
milliers de djihadistes issus de pays ayant ratifié le Statut de Rome,
notamment la Tunisie, le Royaume-Uni, la Jordanie, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas ou l'Australie.
Mais là
aussi, les perspectives de poursuite semblent « minces », car
l’organisation EI est « dirigée principalement par des ressortissants
irakiens et syriens » : « A
ce stade, les chances qu’a le bureau de pouvoir enquêter et poursuivre les
personnes qui portent la responsabilité la plus lourde au sein de la direction
de l’EI semblent très minces », a ajouté la procureur. « Au
stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen
préliminaire était trop étriqué », a-t-elle regretté.
Mme Bensouda a
évoqué une autre solution en vue de l’ouverture d’une enquête de la CPI : que
le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution en ce sens, à la
manière de ce qui a été fait pour la Libye en 2011. Elle a
aussi rappelé que les pays dont sont issus les djihadistes doivent poursuivre
ces derniers.
En
novembre 2014, Mme Bensouda avait indiqué être en train d’examiner la possibilité de
poursuivre des membres du groupe IS pour des crimes de guerre, précisant avoir
reçu des communications de la part de plusieurs pays. Les
djihadistes de l’Etat islamique ont perpétré de nombreuses exactions dans des
zones qu’ils contrôlent, dont des décapitations publiques et des exécutions de
masse.
La CPI est
le seul tribunal pénal international permanent chargé de poursuivre les plus
hauts responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre
commis. Elle a été créée en 2002 et est entrée en fonction l’année suivante.
La procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda
Depuis l'été 2014, mon Bureau reçoit et
examine des renseignements à propos d'allégations préoccupantes concernant des
atrocités commises de façon généralisée par le prétendu État islamique d'Iraq
et du Cham/Grande Syrie (« EIIS » alias « EIIL », « Daesh » ou « EI ») en Syrie
et en Iraq. Des crimes d'une incroyable cruauté ont été signalés, notamment des
exécutions en masse, l'esclavage sexuel, des viols et autres formes de
violences sexuelles ou à caractère sexiste, des actes de torture, des
mutilations, l'enrôlement et le recrutement forcé d'enfants et la persécution
de minorités ethniques et religieuses, sans oublier la destruction délibérée de
biens culturels. Le crime de génocide a par ailleurs été mentionné. Face aux
nombreuses interrogations sur les mesures prises par le Bureau à propos de ces
allégations, j'ai pris la décision de fournir les explications suivantes.
Les atrocités qui auraient été commises
par l'EIIS constituent sans l'ombre d'un doute des crimes graves qui touchent
l'ensemble de la communauté internationale et menacent la paix, la sécurité et
le bien-être de la région en cause et du monde. Elles ont en outre été
perpétrées dans le cadre d'autres crimes présumés commis par d'autres factions
belligérantes en Syrie et en Iraq. Cependant, ni la Syrie ni l'Iraq ne sont
partie au Statut de Rome – le traité fondateur de la Cour pénale internationale
(la « Cour » ou la CPI). Par conséquent, la Cour n'a pas de compétence ratione loci s'agissant des crimes commis sur leur
territoire.
Cela étant, ainsi qu'il est prévu au
Statut de Rome, la CPI peut exercer sa compétence ratione personae à l'égard des auteurs présumés de
crimes s'ils sont ressortissants d'un État partie, et ce, même lorsqu'elle n'a
pas de compétence ratione loci.
Sur cette base, le Bureau a examiné les communications qu'il a reçues à propos
des crimes qui auraient été commis par l'EIIS afin d'évaluer les possibilités
d'exercer sa compétence à l'égard des ressortissants d'États parties engagés
dans les rangs de cette organisation. Ce faisant, il n'a pas perdu de vue qu'il
avait pour politique de concentrer son action sur les personnes qui portent la
responsabilité la plus lourde dans les crimes commis à grande échelle.
D'après les informations réunies, des
milliers de combattants étrangers ont rallié les rangs de l'EIIS en l'espace de
quelques mois seulement. Parmi eux, figure un nombre important de
ressortissants d'États parties dont, entre autres, la Tunisie, la Jordanie, la
France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et l'Australie.
Certains d'entre eux ont pu être impliqués dans des crimes contre l'humanité et
des crimes de guerre. Quelques uns ont rendu publics leurs crimes odieux en
communiquant sur les réseaux sociaux. Les renseignements dont dispose le Bureau
indiquent également que l'EIIS est une organisation militaire et politique
dirigée principalement par des ressortissants iraquiens et syriens. Partant, à
ce stade, les chances qu'a le Bureau de pouvoir enquêter et poursuivre les
personnes qui portent la responsabilité la plus lourde au sein de la direction
de l'EIIS semblent très minces.
Dans ce contexte, je suis parvenue à la
conclusion qu'au stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder
à un examen préliminaire était trop étriqué. Si les États en cause renouvellent
leur engagement et prennent conscience de l'urgence de la situation, des
solutions seront peut-être envisageables. La décision d'États non parties ou du
Conseil de sécurité de l'ONU de saisir la CPI pour qu'elle intervienne est,
cependant, complètement indépendante de sa volonté.
Il convient de rappeler qu'au regard du
Statut de Rome, il incombe en premier lieu aux autorités nationales d'enquêter
sur les crimes commis à grande échelle et de poursuivre leurs auteurs. Je
continuerai à collaborer avec les États concernés afin de coordonner les
actions, voire d'échanger des informations se rapportant aux crimes qui
auraient été commis par des ressortissants de leur pays en vue d'apporter un
soutien aux enquêtes et aux poursuites menées à l'échelon national, le cas
échéant. Le Bureau continuera en outre à recueillir tout renseignement
supplémentaire qui permettrait d'établir clairement les différentes positions
occupées par les ressortissants d'États parties au sein de la structure
hiérarchique de l'EIIS.
Je reste profondément préoccupée par la
situation actuelle et je souhaite souligner qu'il est de notre devoir en tant
que communauté internationale de nous mobiliser compte tenu du sort tragique
des victimes qui ont vu leurs droits et leur dignité bafoués. L'EIIS continue à
semer la terreur de façon généralisée sur les territoires où il sévit. La
communauté internationale s'est engagée à ce que les crimes épouvantables qui
heurtent profondément la conscience humaine ne restent pas impunis.
En tant que Procureur de la CPI, je suis
prête à jouer mon rôle, en toute indépendance et en toute impartialité,
conformément au cadre juridique établi par le Statut de Rome.
Source : CPI
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