Catherine MAIA
L’Accord sur la justice de
transition signé le 23 septembre 2015 par le Gouvernement colombien et par
les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) fait naître une lueur
d’espoir pour les millions de victimes de violations des droits humains et
d’atteintes à ces droits commises au cours du conflit armé qui a sévi pendant
50 ans en Colombie, a déclaré Amnesty International.
« Cet accord constitue
une avancée très importante et il montre clairement que la fin des hostilités,
tant attendue, est enfin proche. Mais de nombreux problèmes restent sans
solution en ce qui concerne la nécessité de faire en sorte que les nombreuses
victimes reçoivent vérité, justice et réparation, conformément au droit
international, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques
d’Amnesty International. « La
Colombie est tenue d’ouvrir
des enquêtes et, s’il
existe suffisamment de preuves recevables, de poursuivre les personnes
soupçonnées d’avoir une
responsabilité dans des crimes de droit international. Cette obligation est non
négociable, même dans le cadre d’un
processus de paix ».
Les deux parties
ont annoncé que, étant donné qu’il
ne reste qu’une question
à régler, sur le désarmement et la démobilisation, un accord de paix pourrait
être signé au plus tard le 23 mars 2016, dans six mois. Les FARC ont
accepté de déposer les armes 60 jours plus tard.
La question de la
justice constitue l’un
des points les plus épineux des négociations de paix, qui se déroulent à Cuba
depuis 2012. Les FARC et le Gouvernement colombien ont accepté de mettre en
place une « juridiction spéciale pour la paix » comprenant un
tribunal et des cours spéciales, avec des juges colombiens choisis à la fois
par les FARC et par le Gouvernement, et avec une participation limitée d’experts étrangers.
Les cours auront
compétence pour juger tous ceux qui ont directement ou indirectement participé
au conflit armé et sont impliqués dans des « crimes graves ». Ces
derniers sont définis comme étant des crimes contre l’humanité,
des crimes de génocide et des crimes de guerre, et incluent le déplacement
forcé, les disparitions forcées, la torture, la prise d’otage,
les exécutions extrajudiciaires et la violence sexuelle, entre autres.
Ce processus
judiciaire ne se focalisera cependant que sur « les cas les plus graves et
les plus représentatifs » et, dans le cas des FARC, que sur ceux
considérés comme ayant la « plus grande responsabilité ».
Les personnes
accusées de « crimes politiques ou connexes » bénéficieront d’une nouvelle loi d’amnistie. La nature des
« crimes connexes » n’a
pas encore été définie, mais il n’y
aurait pas d’amnistie
pour ceux qui sont inculpés de crimes graves. Le procureur général a déclaré
que quelque 15 000 membres des FARC pourraient bénéficier de ces
amnisties.
Les personnes
reconnaissant leur responsabilité dans des crimes graves seront condamnées à
une peine de cinq à huit ans de « restriction des libertés » mais pas
à des peines d’emprisonnement.
Ceux qui reconnaissent leur responsabilité mais qui ne le font pas immédiatement
purgeront des peines de cinq à huit ans d’emprisonnement.
Toute personne ayant nié une responsabilité qui sera reconnue coupable purgera
une peine allant jusqu’à
20 ans d’emprisonnement.
L’accent mis sur la « plus
grande responsabilité » pourrait permettre à des auteurs d’atteintes aux droits humains d’échapper à la justice étant
donné que cette notion n’a
pas été clairement définie. Il est également à craindre qu’il ne soit difficile d’obtenir des condamnations
pour certains crimes, tels que les exécutions extrajudiciaires et les violences
sexuelles.
Le 4 juin 2015,
le Gouvernement et les FARC ont également annoncé un projet de création d’une commission vérité, mais
les cours pourraient ne pas être en mesure d’utiliser
les informations obtenues par cette commission. Cela nuirait à la capacité du
tribunal et des cours spéciales à engager des poursuites contre les auteurs de
violations des droits humains et d’atteintes
à ces droits.
Le Gouvernement
colombien doit veiller à ce que tout accord de paix avec les FARC ne prenne pas
le même tour que le processus de démobilisation des groupes paramilitaires qui
a débuté en 2005 en vertu de la Loi pour la justice et la paix. Dans le cadre
de ce processus, près de 90% des quelque 30 000 paramilitaires
supposément démobilisés ont bénéficié d’une
amnistie de facto sans qu’aucune
véritable enquête préalable n’ait
été menée sur leur éventuelle implication dans des crimes de droit
international. Parmi les 10% restant qui ont fait l’objet
d’une enquête pénale,
seuls une poignée ont, 10 ans après, atteint le stade du procès. Un grand
nombre de paramilitaires de rang moyen ou simples soldats n’ont pas déposé les armes.
Complément d’information
Le conflit armé
interne en Colombie a opposé pendant plus de 50 ans les forces de sécurité
et les paramilitaires à divers mouvements de guérilla.
Ce conflit a été
marqué par des violations des droits humains et du droit international
humanitaire ainsi que par des atteintes à ces droits systématiques et
généralisées, et par le fait que les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables
de ces crimes n’ont pas
été déférées à la justice.
Les forces de
sécurité et les paramilitaires, agissant ensemble ou séparément, et les groupes
de guérilla se sont rendus responsables de toute une série de graves atteintes
aux droits humains commises contre les civils, notamment d’homicides illégaux, de
déplacements forcés de populations, de torture, d’enlèvements
ou de disparitions forcées et de violences sexuelles. Rares sont les
responsables présumés qui ont été amenés à rendre des comptes.
Ces violations des
droits humains et atteintes à ces droits continuent de peser de façon
disproportionnée sur certaines communautés et catégories de personnes en
particulier dans les régions rurales, telles que les communautés indigènes,
afro-colombiennes et paysannes, et les défenseurs des droits humains, notamment
les syndicalistes et les dirigeants associatifs.
On s’attend de plus en plus à ce
que la deuxième plus grande formation de guérilla du pays, l’Armée de libération nationale
(ELN), entreprenne des négociations de paix avec le Gouvernement début 2016.
Aujourd'hui j'ai pris connaissance des derniers développements ayant eu
lieu à La Havane, où le Gouvernement de la Colombie ainsi que les FARC-EP ont
marqué conjointement un pas important vers la fin du conflit armé qui sévit
depuis des décennies dans le pays. Il va sans dire que mon Bureau accueille
favorablement toute initiative sincère et concrète visant à atteindre ce but louable,
tout en faisant honneur à la justice en tant que pilier fondamental d'une paix
durable. Notre espoir est que l'accord conclu par les parties sur la création
d'une Juridiction spéciale pour la Paix en Colombie consiste exactement en
cela. C'est avec optimisme que je note l'exclusion en vertu de cet accord de
toute amnistie pour les crimes de guerre ainsi que les crimes contre l'humanité
et qu'il vise notamment à mettre fin à l'impunité pour les crimes les plus
graves.
Le Bureau en examinera et analysera minutieusement les dispositions dans le
cadre de son examen préliminaire de la situation en Colombie actuellement en
cours. A cette fin, mon Bureau entreprendra des consultations approfondies avec
le Gouvernement de la Colombie et autres parties intéressées, y compris les
victimes et les organisations pertinentes de la société civile.
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