30 septembre 2015

POINT DE VUE : Intervention militaire française en Syrie : vers une règle « Minority Report » ?

Emmanuel GOFFI

Fin septembre, l'exécutif français a décidé de manière unilatérale de lancer des frappes sur le sol syrien sans mandat des Nations Unies, ni autorisation du Gouvernement syrien. Pour contrer toute critique portant sur l’illégalité d’une telle action le Gouvernement français a, par la voix de son Premier ministre, Manuel Valls, invoqué l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Si la démarche n’a pas suscité de réaction, elle n’en demeure pas moins questionnable et condamnable au regard du droit international.

En premier lieu, il convient de rappeler qu’aucune action ne peut être menée sur le territoire d’un État souverain sans son consentement préalable ou sans avoir obtenu un mandat émanant du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’article 2 de la Charte de l’ONU établit, en effet, le principe d’égalité souveraine des États membres et interdit toute utilisation de la force en violation de l’intégrité territoriale ou de l’indépendance politique d’un État. L’intervention décidée par l’exécutif français est donc une violation flagrante de la souveraineté de la Syrie.

Ensuite, l’article 51 dispose que le droit de légitime défense individuel ou collectif ne s’applique que dans le cas d’une attaque armée contre un membre des Nations Unies. Il s’avère donc que la violation de la souveraineté syrienne ne peut en rien être justifiée par la légitime défense, puisque l’État syrien n’a jamais attaqué la France. L’argument tendant à démontrer que des éléments terroristes entraînés en Syrie ont perpétré des attentats sur le sol français ne tient pas, sauf à démontrer que ces individus ont été expressément mandatés par le pouvoir syrien.

Enfin, le fait que Daesch, qui ne peut être assimilé au régime syrien, menace la France, ce qui nécessiterait d’être plus solidement prouvé, ne peut en rien justifier une mesure « préemptive », décidée qui plus est en violation du droit international.

Ce dernier point est d’autant plus important qu’il ouvre la voie à une pratique déjà utilisée par Israël contre l’Égypte en 1967, puis par les États-Unis contre l’Irak en 2003 : l’intervention armée préventive, c’est-à-dire une règle « Minority Report » consistant à autoriser un État A à lancer une intervention militaire contre un État B avant même que l’État B ait initié une attaque contre l’État A. Il est facile d’imaginer les dérives d’une telle règle. N’importe quel État pourrait décider une action militaire contre un autre État au motif que ce dernier représenterait une menace potentielle, réelle, perçue ou construite contre ses intérêts. Quid de l’Iran décidant que la menace israélienne justifie une action armée ? Quid de la Corée du Nord et de sa voisine du Sud ? Quid de la Chine, de l’Inde et du Pakistan ? Quid d’un État considérant que la détention de l’arme nucléaire par d’autres États fait peser une menace permanente sur lui ? Enfin, quid des interventions décidées sur la base d’allégations mensongères, telles que celles concernant la détention d’armes de destruction massive par l’Irak ?

L’intervention préemptive ou préventive, ne peut ni ne doit devenir une règle. En la matière, la France a, comme membre permanent du Conseil de Sécurité, une responsabilité particulière en matière d’application stricte du droit international. Elle ne peut s’autoriser à déroger aux règles qu’elle prétend si souvent défendre et qu’elle a contribué à établir. Elle ne peut ni ne doit participer à la création de zones d’ombres dans le droit, zones d’ombres dans lesquelles de nombreux États pourraient s’engouffrer à leur tour.

En lançant des frappes illégales sur le sol syrien, la France établit un dangereux précédent. En violant la souveraineté syrienne, elle ouvre la porte non seulement à des représailles terroristes contre les citoyens français, mais elle autorise potentiellement le Président syrien à invoquer la légitime défense et à lancer une attaque contre la France. L’exécutif ne peut pas jouer avec la sécurité de la nation.

La France semble perdre pied dans la crise syrienne. Elle doit se reprendre. Le Parlement français doit se faire entendre. Les Français également. Décider de frapper le sol syrien sans mandat de l’ONU est contraire aux valeurs de notre pays fondées sur le respect du droit. De même, exiger le départ d’un dirigeant aussi abjecte fût-il est non seulement contraire au droit international, mais également en totale contradiction avec l’esprit de la Charte des Nations Unies invitant au règlement pacifique des différends et n’envisageant l’emploi de la force que comme solution de dernier recours et sous mandat onusien. L’idée selon laquelle « on ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau » est, quant à elle, irrecevable. De nombreux travaux dans le domaine de la résolution et de la gestion de conflit tendent à prouver, au contraire, qu’une solution durable à un conflit ne peut passer que par un compromis impliquant l’ensemble des parties, même les moins fréquentables. N’avons pas entendu parler de dictateur acceptable en Afghanistan ? N’avons-nous jamais évoqué des négociations avec des Talibans modérés ? N’avons-nous pas prôné la réconciliation entre Hutus et Tutsis au Rwanda ?

Renverser un Gouvernement ne peut être une option légale, pas plus qu’attaquer un pays au motif qu’il représente une menace. L’exécutif devrait s’intéresser un peu plus aux travaux menés par les universitaires en relations internationales. Il y découvrirait sûrement des éléments de réflexion intéressants. Il éviterait surtout de légitimer des interventions illégales et dangereuses en s’appuyant sur une interprétation erronée du droit international.


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