Emmanuel GOFFI
Fin septembre, l'exécutif français a décidé de manière
unilatérale de lancer des frappes sur le sol syrien sans mandat des Nations
Unies, ni autorisation du Gouvernement syrien. Pour contrer toute critique
portant sur l’illégalité d’une telle action le Gouvernement français a, par la
voix de son Premier ministre, Manuel Valls, invoqué l’article 51 de la Charte
des Nations Unies. Si la démarche n’a pas suscité de réaction, elle n’en
demeure pas moins questionnable et condamnable au regard du droit
international.
Ensuite, l’article 51 dispose que le droit de
légitime défense individuel ou collectif ne s’applique que dans le cas d’une
attaque armée contre un membre des Nations Unies. Il s’avère donc que la
violation de la souveraineté syrienne ne peut en rien être justifiée par la
légitime défense, puisque l’État syrien n’a jamais attaqué la France.
L’argument tendant à démontrer que des éléments terroristes entraînés en Syrie
ont perpétré des attentats sur le sol français ne tient pas, sauf à démontrer
que ces individus ont été expressément mandatés par le pouvoir syrien.
Enfin, le fait que Daesch, qui ne peut être
assimilé au régime syrien, menace la France, ce qui nécessiterait d’être plus
solidement prouvé, ne peut en rien justifier une mesure
« préemptive », décidée qui plus est en violation du droit
international.
Ce dernier point est d’autant plus important qu’il
ouvre la voie à une pratique déjà utilisée par Israël contre l’Égypte en 1967,
puis par les États-Unis contre l’Irak en 2003 : l’intervention armée
préventive, c’est-à-dire une règle « Minority
Report » consistant à autoriser un État A à lancer une intervention
militaire contre un État B avant même que l’État B ait initié une attaque
contre l’État A. Il est facile d’imaginer les dérives d’une telle règle.
N’importe quel État pourrait décider une action militaire contre un autre État
au motif que ce dernier représenterait une menace potentielle, réelle, perçue
ou construite contre ses intérêts. Quid
de l’Iran décidant que la menace israélienne justifie une action armée ? Quid de la Corée du Nord et de sa
voisine du Sud ? Quid de la
Chine, de l’Inde et du Pakistan ? Quid
d’un État considérant que la détention de l’arme nucléaire par d’autres États
fait peser une menace permanente sur lui ? Enfin, quid des interventions décidées sur la base d’allégations
mensongères, telles que celles concernant la détention d’armes de destruction
massive par l’Irak ?
L’intervention préemptive ou préventive, ne peut
ni ne doit devenir une règle. En la matière, la France a, comme membre
permanent du Conseil de Sécurité, une responsabilité particulière en matière
d’application stricte du droit international. Elle ne peut s’autoriser à
déroger aux règles qu’elle prétend si souvent défendre et qu’elle a contribué à
établir. Elle ne peut ni ne doit participer à la création de zones d’ombres
dans le droit, zones d’ombres dans lesquelles de nombreux États pourraient
s’engouffrer à leur tour.
En lançant des frappes illégales sur le sol
syrien, la France établit un dangereux précédent. En violant la souveraineté
syrienne, elle ouvre la porte non seulement à des représailles terroristes
contre les citoyens français, mais elle autorise potentiellement le Président
syrien à invoquer la légitime défense et à lancer une attaque contre la France.
L’exécutif ne peut pas jouer avec la sécurité de la nation.
La France semble perdre pied dans la crise
syrienne. Elle doit se reprendre. Le Parlement français doit se faire entendre.
Les Français également. Décider de frapper le sol syrien sans mandat de l’ONU
est contraire aux valeurs de notre pays fondées sur le respect du droit. De
même, exiger le départ d’un dirigeant aussi abjecte fût-il est non seulement
contraire au droit international, mais également en totale contradiction avec
l’esprit de la Charte des Nations Unies invitant au règlement pacifique des
différends et n’envisageant l’emploi de la force que comme solution de dernier
recours et sous mandat onusien. L’idée selon laquelle « on ne peut pas
faire travailler ensemble les victimes et le bourreau » est, quant à elle,
irrecevable. De nombreux travaux dans le domaine de la résolution et de la
gestion de conflit tendent à prouver, au contraire, qu’une solution durable à
un conflit ne peut passer que par un compromis impliquant l’ensemble des
parties, même les moins fréquentables. N’avons pas entendu parler de dictateur
acceptable en Afghanistan ? N’avons-nous jamais évoqué des négociations avec
des Talibans modérés ? N’avons-nous pas prôné la réconciliation entre Hutus
et Tutsis au Rwanda ?
Renverser un Gouvernement ne peut être une option
légale, pas plus qu’attaquer un pays au motif qu’il représente une menace.
L’exécutif devrait s’intéresser un peu plus aux travaux menés par les
universitaires en relations internationales. Il y découvrirait sûrement des
éléments de réflexion intéressants. Il éviterait surtout de légitimer des
interventions illégales et dangereuses en s’appuyant sur une interprétation
erronée du droit international.
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