3 octobre 2016

NOTE : Rencontre avec Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali

Emmanuel GOFFI

La Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (Canada) recevait le 28 septembre, M. Moussa Mara, Premier ministre du Mali d’avril 2014 à janvier 2015. A cette occasion les membres du Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix de la Chaire ont eu l’occasion de s’entretenir de manière informelle avec M. Mara avant d’assister à la conférence que l’ancien Premier ministre malien donnait sur le thème « Jeunesse, radicalisation et terrorisme ».

Plusieurs points nous semblent mériter d’être rapportés ici, afin notamment de prouver que les solutions potentielles aux problèmes auxquels fait face le Mali depuis de nombreuses années, et en particulier depuis l’insurrection indépendantiste (groupes pro-Azawad) et djihadistes (salafistes) de 2012 et le coup d’Etat du 22 mars de la même année, peuvent venir des leaders politiques maliens eux-mêmes, et ne doivent pas nécessairement procéder de réflexions et de décisions venant d’acteurs tiers.

Tout d’abord, il est apparu clairement que M. Mara avait une connaissance de la complexité de son pays difficilement égalable par un acteur extérieur. Si le Centre FrancoPaix peut se vanter d’avoir de véritables spécialistes du Mali, il n’en demeure pas moins qu’une vision « de l’intérieur » apporte une perspective analytique d’une richesse et d’un intérêt non négligeable. Il ne s’agit bien sûr pas ici de prétendre que seuls les leaders politiques maliens peuvent comprendre la complexité du cas malien. Il est évident que, comme dans tout autre pays, leur objectivité peut et doit être questionnée et que le discours politique qu’ils dispensent n’a pas toujours vocation analytique et doit être envisagé au regard des agendas individuels et partisans. C’est bien ici que les analystes étrangers peuvent apporter une plus-value considérable au travers d’une connaissance précise de la situation au Mali et d’une mise en perspective des déclarations politiques.

La nécessité d’appuyer le processus de paix au Mali sur des acteurs locaux répond d’ailleurs parfaitement à la philosophie onusienne de « l’appropriation nationale et locale » (ownership). Pour autant, cette appropriation ne doit pas être circonscrite à une élite politique et, comme l’a souligné M. Mara, doit être mise en œuvre au travers d’une forte mobilisation des maliens eux-mêmes, que ce soit en décentralisant le pouvoir ou en laissant aux citoyens la possibilité de choisir leurs élus localement comme prévu dans l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger (Accord d’Alger) signé en 2015 par les acteurs parties au conflit (voir notamment les articles 1, 5, 6 et le chapitre 4 de l’Accord).

À ce titre, M. Mara, à la suite d’une question sur le sujet, a souligné l’importance du rôle des jeunes dans le règlement de la crise malienne. S’il est évident que la jeunesse doit être un sujet de préoccupation pour les autorités du pays, elle est également une force sur laquelle il est essentiel de s’appuyer pour construire un Mali stable. Moussa Mara a d’ailleurs rappelé que la croissance démographique du Mali (2,96%), et de certains de ses voisins (Niger et Burkina Faso), et la jeunesse de sa population (avec un âge médian de 16 ans et 66,5% de la population ayant moins de 25 ans) étaient des éléments fondamentaux à prendre en compte dans les solutions apportées au conflit malien.

C’est notamment sur cette jeunesse et sur les risques accrus de radicalisation pouvant aller jusqu’à la participation à des actions terroristes que s’est attardé M. Mara lors de sa conférence. Selon lui, le radicalisme, qui procède de plusieurs facteurs endogènes et exogènes, doit être analysé très précisément, afin d’éviter une sur-simplification d’un phénomène extrêmement complexe et polymorphe, qui aboutirait inévitablement à des solutions superficielles et inefficaces. Pour l’ancien Premier ministre ce phénomène ne peut être compris que s’il est replacé dans un contexte international plus global, dont le conflit israélo-palestinien et le terrorisme de Daesh sont des éléments clés auxquels se réfèrent celles et ceux qui éprouvent un sentiment d’ostracisation lié à leur appartenance religieuse. La prise en compte de la tendance du monde contemporain à la radicalisation, dont M. Mara souligne fort justement que le populisme est une forme, est également essentielle à la compréhension des lignes de fractures qui mènent certains jeunes à basculer dans la violence.

Cependant, cette radicalisation s’explique également par d’autres facteurs, tels que :
- le besoin de sécurité et de protection qui, n’étant pas assuré efficacement par l’État, pousse certains à se tourner vers les groupes terroristes ;
- les difficultés économiques, dont un taux de chômage endémique chez les jeunes, qui les incitent à rejoindre les rangs des terroristes et à en accepter les subsides ;
- le désir de reconnaissance sociale, d’équité et de justice, auquel semble répondre le radicalisme islamiste, qui n’hésite pas à sanctionner les contrevenants aux règles là où l’État est considéré comme trop laxiste, voire inactif, et que M. Mara résume par le sentiment qu’ont certains qu’au sein des groupes terroristes « les règles sont dures, mais les règles sont bonnes » ;
- et, bien entendu, l’Islam lui-même souvent mal interprété et mal compris, sujet à des luttes internes ajoutant aux ruptures inter-religieuses des tensions intra-religieuses.

Autrement dit, la radicalisation est un phénomène complexe, aux motivations et aux conséquences variées, qui ne peut être réduit à un ou deux facteurs. Lutter contre la radicalisation nécessite donc une gamme diverse de solutions que Moussa Mara divise en quatre types de réponses : étatiques, religieuses, communautaires et économiques. Pour ce qui concerne la réponse étatique, l’analyse de M. Mara repose sur le constat de la vacuité étatique et de la place laissée libre par l’État à d’autres acteurs. Selon lui, l’État doit être fonctionnel et efficace sur l’ensemble du territoire. Il doit écouter, comprendre, soutenir et encadrer les citoyens, tout en leur donnant plus de place dans la gestion du pays. La réponse religieuse passe, quant à elle, par une meilleure information sur l’Islam et un dialogue intra-religieux, permettant aux deux grandes traditions que sont le chiisme et le sunnisme de « s’accorder sur l’essentiel » pour offrir une vision unie et lisible de leur religion commune. La réponse communautaire repose, pour sa part, sur les réseaux existant, qui doivent s’investir pour accompagner la jeunesse et l’aider à trouver sa voie hors du radicalisme et de la violence. Enfin, la résorption du chômage, le renforcement de l’esprit entrepreneurial chez les jeunes et un rôle d’accompagnement de l’État sont quelques-unes des pistes évoquées dans le cadre de la réponse économique. À ces quatre réponses Moussa Mara ajoute le besoin pour les jeunes de prendre leur destin en main et de s’investir pour leur pays, intellectuellement, politiquement ou économiquement. Il ajoute également, tout en soulignant les limites de l’exercice, la solution militaire et sécuritaire, qui ne doit pas devenir l’option unique.

Si ces propositions de réponses nous paraissent pertinentes et légitimes, elles souffrent pourtant de quelques défauts. Il est important de souligner, dans un premier temps, qu’elles semblent se focaliser sur le niveau micro, c’est-à-dire sur les actions à mener au Mali par les Maliens. Or, le Mali est enchâssé dans un ensemble continental et mondial, qui ne permet pas d’envisager des solutions exclusivement nationales. De nombreux acteurs viennent, en effet, alimenter le « grand jeu » à l’œuvre au Mali et dans la bande sahélo-saharienne. Les acteurs étatiques et non-étatiques, parties officielles et officieuses aux conflits qui s’y déroulent, ne peuvent être écartés des solutions potentielles. À ce titre, M. Mara, dans la lignée de l’Accord d’Alger, reconnaît l’importance d’une solution globale négociée et médiée, mais souligne que les acteurs extérieurs impliqués doivent jouer un rôle d’accompagnement et de support à l’État malien. C’est notamment ce que fait la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), créée en avril 2013, dont le mandat est essentiellement d’accompagner, d’aider et d’appuyer les autorités maliennes dans les processus de stabilisation des principales agglomérations, de rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays, des mises en œuvre de la feuille de route pour la transition et de l’Accord d’Alger (voir les Résolutions 2100 (2013) ; 2164 (2014) ; 2227 (2015) et 2295 (2016))

D’autre part, et sans s’étendre sur la question, le discours politique, indépendamment de celui qui le dispense, doit toujours être appréhendé avec précaution et en gardant à l’esprit son caractère subjectif, et donc biaisé. Celui de M. Mara ne fait pas exception et ses ambitions personnelles doivent être intégrées à la compréhension des solutions qu’il propose, apparemment évidentes et présentées de manière très simple. Le discours vise ici à séduire et à influencer, bien plus qu’à proposer une analyse détaillée.

De fait, l’apparente pertinence des réponses apportées se heurte à une difficulté de taille : certaines sont tout simplement impossibles à mettre en œuvre. En premier lieu, parce qu’il est évident, et M. Mara le dit lui-même, que « tout le monde n’a pas intérêt à la paix ». Ce constat repose sur le fait que dans n’importe quelle situation impliquant de nombreux acteurs très différents, les agendas ne sont pas tous alignés sur les mêmes objectifs au même moment. Ensuite, parce que certaines relèvent de l’utopie pure et simple. Voir l’ensemble des chiites et des sunnites s’accorder sur une vision commune de l’Islam est inenvisageable en l’état, notamment en raison des positionnements opposant l’Iran et l’Arabie Saoudite et de la complexité même du monde musulman. De la même manière, supposer qu’une meilleure information sur l’Islam réduira les tensions inter-religieuses est tout sauf une évidence, mais surtout une telle information est impossible à envisager sur le plan pratique. Quand bien même ces solutions seraient envisageables, leur pérennité serait à questionner dans un contexte africain d’instabilités politiques ne permettant pas d’assurer une continuité dans le temps des décisions prises à un moment donné par un Gouvernement donné.

De la même manière, l’appel au règlement du conflit israélo-palestinien ou la nécessité pour l’État malien de « retrouver les vertus de l’exemplarité » ressemblent à des slogans politiques bien plus qu’à de véritables stratégies de règlement du conflit au Mali.

De toute évidence, l’ensemble des réponses à la situation malienne ne peut être envisagé hors d’une coopération entre acteurs ayant des objectifs communs. Or, il apparaît clairement qu’au plan national comme international, cette communauté d’intérêt est absente. Pour autant, l’accord d’Alger est un premier pas qu’il convient d’applaudir, sans pour autant se laisser bercer d’illusions.

Au travers des propositions de M. Mara, on sent bien que le Mali est tiraillé entre un besoin d’indépendance et de souveraineté nécessaires à la gestion en interne de ses difficultés dans le cadre d’un processus d’appropriation et la nécessité de s’appuyer sur des partenaires internationaux (organisations internationales régionales, telles que l’Union Africaine, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’Union européenne ou l’Organisation de la coopération islamique, les Nations Unies, certains pays, tels que la France ou l’Algérie…). L’équilibre est ici difficile à atteindre entre excès et insuffisance d’interventionnisme extérieur, d’une part, et, d’autre part, entre trop et pas assez d’autonomie.

Il n’est évidemment pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain. M. Mara a, selon nous, réussi à démontrer qu’il existe de l’espoir et des voies à explorer. Il a aussi clairement prouvé qu’il existe des dirigeants politiques lucides capables de reconnaître les forces et les faiblesses du pays. Nul doute que la jeunesse malienne est ici sous deux projecteurs : force potentielle pour l’avenir du Mali, mais faiblesse lorsqu’elle sombre dans le radicalisme et la violence. Moussa Mara a enfin, si tant est qu’il en était besoin, su rappeler que son pays est loin d’être un objet homogène pouvant être étudié de loin sans prendre en compte ses diversités culturelles, géographique, politique et religieuse. À ce titre il a souligné le rôle des perceptions dans le processus de paix en cours au Mali en rappelant l’importance du terrain dans les travaux universitaires pour saisir la « réalité » malienne dans toute sa complexité.

Finalement, cette rencontre aura été à la fois porteuse d’espoir et d’inquiétude. Espoir de voir une nouvelle classe politique capable de mobiliser le peuple malien derrière le but commun de restaurer la paix dans le pays, mais inquiétude quant à la possibilité de mettre en œuvre des solutions superficielles et dépendant de variables instables. Cependant, comme M. Mara l’a souligné, le « processus avance mais il avance laborieusement ».

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