6 juin 2018

ACTU : Dans l’affaire des "Immunités et procédures pénales" opposant la Guinée équatoriale à la France, la CIJ se déclare compétente concernant la question du statut de l'immeuble équato-guinéen situé à Paris

Catherine MAIA

La Guinée équatoriale et la France entretiennent des relations diplomatiques tendues depuis que Teodorin Obiang, vice-président du premier pays, a été condamné en octobre 2017 par la justice du second pays.

Jugé depuis 2016 par contumace devant le Tribunal correctionnel de Paris, Teodorin Obiang, qui était accusé d'avoir mené un train de vie somptueux et fait des dépenses faramineuses avec les fonds publics de son pays, a été condamné à trois ans de prison avec sursis et à 30 millions d'euros d'amende, également avec sursis, dans cette affaire dite des "biens mal acquis".

Selon le Tribunal, le fils du président de Guinée équatoriale, à la tête du pays depuis 1979, s'est frauduleusement bâti en France un patrimoine de plusieurs dizaines de millions d'euros. Parmi ses nombreuses acquisitions, on compte une partie de la collection d'art d'Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé d'une valeur de plus de 18 millions d'euros, 18 voitures de luxe, des bijoux, montres et vêtements de marque, des grands crus, ainsi qu'un hôtel particulier de 2835 mètres carrés dans le XVIe arrondissement, présenté par Malabo comme une mission diplomatique équato-guinéenne mais considéré par la France comme un immeuble servant de demeure personnelle à Teodorin Obiang.

Malabo avait porté le différend devant la Cour de Justice Internationale (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, estimant que la France n'était pas compétente pour juger sur ce dossier. De son côté, Paris a toujours contesté la compétence de la CIJ dans cette affaire et a accusé Malabo de vouloir "paralyser" la procédure pénale française contre Teodorin Obiang. Après deux ans de procédure, la CIJ a statué le 6 juin sur son champ de compétences pour juger divers éléments de ce dossier.

Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la CIJ

1) Retient, par onze voix contre quatre, la première exception préliminaire soulevée par la République française, selon laquelle la Cour n’a pas compétence sur la base de l’article 35 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée ;

2) Rejette, à l’unanimité, la deuxième exception préliminaire soulevée par la République française, selon laquelle la Cour n’a pas compétence sur la base du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des différends ;

3) Rejette, par quatorze voix contre une, la troisième exception préliminaire soulevée par la République française, selon laquelle la requête est irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit ;

4) Déclare, par quatorze voix contre une, qu’elle a compétence, sur la base du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des différends, pour se prononcer sur la requête déposée par la République de Guinée équatoriale le 13 juin 2016, en ce qu’elle a trait au statut de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission, et que ce volet de la requête est recevable.

Historique de la procédure


La CIJ commence par rappeler que, le 13 juin 2016, la Guinée équatoriale a introduit une instance contre la France au sujet d’un différend ayant trait à l’immunité de juridiction pénale du vice-président de la République de Guinée équatoriale, Teodoro Nguema Obiang Mangue, ainsi qu’au statut juridique de l’immeuble qui «abrite l’ambassade de Guinée équatoriale en France», sis au 42 avenue Foch à Paris. Dans sa requête, la Guinée équatoriale entend fonder la compétence de la CIJ, d’une part, sur l’article 35 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (ci-après la «Convention de Palerme») et, d’autre part, sur l’article premier du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques concernant le règlement obligatoire des différends (ci-après le «Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne»). La CIJ rappelle en outre que, le 31 mars 2017, la France a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la CIJ.

Contexte factuel

La CIJ note en particulier les faits suivants. Le 2 décembre 2008, l’association Transparency international France a déposé une plainte auprès du procureur de la République de Paris à l’encontre de certains chefs d’État africains et de membres de leurs familles, pour des détournements allégués de fonds publics dans leur pays d’origine, dont les produits auraient été investis en France. Cette plainte a été déclarée recevable par la justice française et une information judiciaire a été ouverte en 2010 des chefs de «recel de détournement de fonds publics», «complicité de recel de détournement de fonds publics, complicité de détournement de fonds publics, blanchiment, complicité de blanchiment, abus de biens sociaux, complicité d’abus de biens sociaux, abus de confiance, complicité d’abus de confiance et recel de chacune de ces infractions». L’enquête diligentée a notamment porté sur le mode de financement de biens mobiliers et immobiliers acquis en France par plusieurs personnes, dont Teodoro Nguema Obiang Mangue, fils du président de la Guinée équatoriale, qui était à l’époque ministre d’État chargé de l’agriculture et des forêts de la Guinée équatoriale.

Les investigations ont plus spécifiquement concerné les modalités d’acquisition par Teodoro Nguema Obiang Mangue de divers objets de très grande valeur et d’un immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris. En 2011 et 2012, cet immeuble a fait l’objet d’une saisie pénale immobilière et divers objets s’y trouvant ont été saisis après que la justice française eut conclu que son acquisition avait été financée en tout ou en partie par le produit des infractions visées par l’instruction et que son véritable propriétaire était  Teodoro Nguema Obiang Mangue. La Guinée équatoriale a systématiquement protesté contre ces actions, alléguant qu’elle avait préalablement acquis l’immeuble en question et qu’il faisait partie des locaux de sa mission diplomatique en France.

Teodoro Nguema Obiang Mangue, qui est devenu le 21 mai 2012 second vice-président de la Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’État, a protesté contre les mesures prises à son encontre et invoqué à plusieurs reprises l’immunité de juridiction dont il estimait pouvoir jouir compte tenu de ses fonctions. Il a toutefois été mis en examen par la justice française en mars 2014. Les recours judiciaires de l’intéressé contre cette mise en examen ont tous été rejetés, de même que les protestations diplomatiques de la Guinée équatoriale. Au terme de l’enquête, Teodoro Nguema Obiang Mangue - qui avait été nommé vice-président de la Guinée équatoriale chargé de la défense nationale et de la sécurité de l’État en juin 2016 - a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour y être jugé pour des infractions liées au délit de blanchiment d’argent qu’il aurait commises en France entre 1997 et octobre 2011. Le 27 octobre 2017, le tribunal a rendu son jugement, par lequel il a déclaré Teodoro Nguema Obiang Mangue coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, assortie d’un sursis, ainsi qu’à une peine d’amende de 30 millions d’euros, également assortie de sursis. Le tribunal a, en outre, ordonné la confiscation de l’ensemble des biens saisis dans le cadre de l’information judiciaire et de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris ayant déjà fait l’objet d’une saisie pénale immobilière. S’agissant de la confiscation de cet immeuble, le tribunal, se référant à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la CIJ le 7 décembre 2016, a dit que «la procédure pendante devant [la Cour internationale de Justice] rend[ait] impossible non pas le prononcé d’une peine de confiscation mais l’exécution par l’État français d’une telle mesure». Teodoro Nguema Obiang Mangue a fait appel de sa condamnation devant la Cour d’appel de Paris. Cet appel ayant un effet suspensif, aucune mesure n’a été prise pour mettre à exécution les peines prononcées à l’encontre de l’intéressé.

Raisonnement de la Cour


1. Première exception préliminaire : compétence en vertu de la Convention de Palerme

a) La violation alléguée des règles relatives aux immunités des États et de leurs agents par la France


La CIJ observe que les demandes formulées par la Guinée équatoriale sur le fondement de la Convention de Palerme concernent, tout d’abord, la prétendue violation par la France de l’immunité de juridiction pénale étrangère de Teodoro Nguema Obiang Mangue, vice-président de la République de Guinée équatoriale, et le prétendu non-respect par la France de l’immunité de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que bien d’État de la Guinée équatoriale. Les Parties s’opposent à cet égard sur le fait de savoir si, en conséquence des principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres États, tels que visés à l’article 4 de ladite Convention, Teodoro Nguema Obiang Mangue jouit de l’immunité de juridiction pénale étrangère et l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris bénéficie de l’immunité des mesures de contrainte. La CIJ recherche si cet aspect du différend entre les Parties est susceptible d’entrer dans les prévisions de la Convention de Palerme, et si, par suite, il est de ceux dont elle est compétente pour connaître sur le fondement de cette Convention. La CIJ examine en particulier si cet aspect du différend concerne l’interprétation ou l’application de l’article 4 lu conjointement avec d’autres articles de cette Convention.

La CIJ procède donc à l’interprétation de l’article 4 de la Convention de Palerme. Elle note que cet article a pour but de garantir que les États parties à la Convention s’acquittent de leurs obligations conformément aux principes de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale des États et de la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres États. Selon elle, cette disposition ne fait nullement référence aux règles du droit international coutumier, en ce compris celles de l’immunité de l’État, qui découlent de l’égalité souveraine, mais au principe même de celle-ci. La CIJ estime que, pris dans son sens ordinaire, le paragraphe 1 de l’article 4 n’impose pas aux États parties, par sa référence à l’égalité souveraine, l’obligation de se comporter d’une manière compatible avec les nombreuses règles de droit international qui protègent la souveraineté en général, ainsi qu’avec toutes les conditions dont ces règles sont assorties. S’agissant du contexte, elle fait observer qu’aucune des dispositions de la Convention de Palerme ne se rapporte expressément aux immunités des États et de leurs agents. En ce qui concerne l’objet et le but de la Convention, la CIJ souligne que l’interprétation de l’article 4 avancée par la Guinée équatoriale, selon laquelle les règles coutumières relatives aux immunités des États et de leurs agents seraient incorporées dans la Convention en tant qu’obligations conventionnelles, est sans rapport avec l’objet et le but déclarés de la Convention, tels qu’énoncés en son article premier, qui sont de promouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale organisée. La CIJ note que son interprétation de l’article 4 est confirmée par les travaux préparatoires de la Convention de Palerme.

La CIJ conclut que les règles du droit international coutumier relatives aux immunités des États et de leurs agents ne sont pas incorporées dans l’article 4 de la Convention de Palerme. En conséquence, l’aspect du différend opposant les Parties au sujet de l’immunité invoquée en faveur du vice-président équato-guinéen et de l’immunité de toute mesure de contrainte invoquée en faveur de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que bien d’État ne concerne pas l’interprétation ou l’application de la Convention de Palerme. Dès lors, la CIJ n’a pas compétence pour connaître de cet aspect du différend.

b) La compétence excessive que la France se serait attribuée

La CIJ relève que les demandes formulées par la Guinée équatoriale sur le fondement de la Convention de Palerme portent également sur la compétence pénale excessive que la France se serait attribuée pour connaître des infractions principales liées au délit de blanchiment d’argent. Les Parties sont en désaccord à cet égard sur la question de savoir si, en établissant sa compétence sur de telles infractions, la France a outrepassé sa compétence pénale et manqué à l’obligation conventionnelle lui incombant en vertu de l’article 4 de la Convention de Palerme, lu conjointement avec les articles 6 et 15 de cet instrument. La CIJ recherche si cet aspect du différend entre les Parties est susceptible d’entrer dans les prévisions de la Convention de Palerme, et si, par suite, il est de ceux dont elle est compétente pour connaître sur le fondement de cette Convention. La CIJ est d’avis que ni l’article 6 ni l’article 15 n’envisage la compétence exclusive de l’État sur le territoire duquel une infraction principale a été commise. Elle en déduit que les violations que la Guinée équatoriale reproche à la France ne sont pas susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention de Palerme, et notamment de ses articles 6 et 15, et que, partant, elle n’a pas compétence pour connaître de l’aspect du différend concernant la compétence excessive que la France se serait attribuée.

Pour toutes ces raisons, la CIJ conclut qu’elle n’a pas compétence au titre de la convention de Palerme pour connaître de la requête de la Guinée équatoriale et doit retenir la première exception préliminaire soulevée par la France.

2. Deuxième exception préliminaire : compétence en vertu du Protocole de signature facultative à la Convention de Vienne

La CIJ observe que la demande formulée par la Guinée équatoriale sur le fondement de la Convention de Vienne concerne le prétendu non-respect par la France de l’inviolabilité de l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris en tant que locaux de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale. Elle relève à cet égard que les Parties s’opposent sur la question de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris fait partie des locaux de la mission de la Guinée équatoriale en France et peut donc bénéficier du traitement accordé à pareils locaux par l’article 22 de la convention de Vienne. Les Parties sont également en désaccord sur la question de savoir si les mesures prises par les autorités françaises à l’égard de l’immeuble emportent violation par la France des obligations lui incombant en vertu de l’article 22. La CIJ recherche si cet aspect du différend entre les Parties est susceptible d’entrer dans les prévisions de la Convention de Vienne et si, par suite, il est de ceux dont elle est compétente pour connaître au titre du Protocole de signature facultative à ladite Convention.

La CIJ relève que, sont considérés comme des «locaux de la mission», au titre de l’article premier, alinéa i), de la Convention de Vienne, les bâtiments ou parties de bâtiment qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont «utilisés aux fins de la mission» diplomatique, y compris la résidence du chef de la mission. La CIJ relève ensuite que l’article 22 de la Convention de Vienne assure un régime d’inviolabilité, de protection et d’immunité aux «locaux d[’une] mission [diplomatique]» en faisant obligation à l’État accréditaire, notamment, de s’abstenir de pénétrer dans de tels locaux sans le consentement du chef de la mission, et d’empêcher que lesdits locaux ne soient envahis ou endommagés, ou la paix de la mission troublée, par ses agents. Il garantit, en outre, que les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne puissent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution.

Selon la CIJ, dès lors qu’il existe, comme en l’espèce, des positions divergentes sur la question de savoir si l’immeuble sis au 42 avenue Foch à Paris, dont la Guinée équatoriale prétend qu’il est «utilisé [aux] fins de sa mission diplomatique», peut être considéré comme «locaux de la mission» et, partant, s’il convient ou non de lui accorder la protection prévue par l’article 22, il y a lieu de considérer que cet aspect du différend est «relatif à l’interprétation ou à l’application de la Convention de Vienne», au sens de l’article premier du Protocole de signature facultative à ladite Convention. La CIJ estime donc que cet aspect du différend entre dans le champ de la Convention de Vienne.

En conséquence, la CIJ conclut qu’elle a compétence pour se prononcer sur l’aspect du différend relatif au statut de l’immeuble en tant que locaux diplomatiques, compétence qui inclut toute demande relative aux pièces d’ameublement et autres objets se trouvant dans les locaux du 42 avenue Foch à Paris. La deuxième exception préliminaire soulevée par la France doit donc être rejetée.

3. Troisième exception préliminaire : abus de procédure et abus de droit

La CIJ rappelle que, dans ses exceptions préliminaires, la France fait valoir que le comportement de la Guinée équatoriale procède d’un abus de droit et que la saisine de la CIJ constitue un abus de procédure. La CIJ est d’avis que cette exception préliminaire doit être qualifiée d’exception d’irrecevabilité de la requête.

La CIJ observe qu’un abus de procédure se rapporte à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal et peut être examiné au stade préliminaire de ladite procédure. Selon elle, seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la CIJ rejette pour ce motif une demande fondée sur une base de compétence valable. Or, elle n’estime ne pas être en présence de telles circonstances en l’espèce. La CIJ est, par ailleurs, d’avis que l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire. Dès lors, tout argument relatif à un abus de droit sera examiné au stade du fond de la présente affaire.

Pour ces raisons, la CIJ n’estime pas devoir déclarer irrecevable pour abus de procédure ou abus de droit la présente demande de la Guinée équatoriale. La troisième exception préliminaire soulevée par la France doit par conséquent être rejetée.


Composition de la Cour

La CIJ était composée comme suit : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Owada, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, juges ; M. Kateka, juge ad hoc ; M. Couvreur, greffier.



Source : CIJ

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