Le 19 février 2015, le président Hollande[1] a prononcé un discours sur la dissuasion nucléaire. Cette prise de parole est une coutume, chaque président contribuant à promouvoir et à assurer la continuité de cette politique de dissuasion pour « faire en sorte que notre pays, bien après même que le Président ne sera plus en exercice, celui-là, ou un autre y sera, pour qu'il y ait cette continuité ». L’objectif était d’expliquer et d’affirmer cette politique de défense à nos alliés, nos possibles adversaires et la population française. Seul problème – et de taille –, il est à craindre que les États non dotés ne comprennent absolument pas un tel discours, à deux mois de la 9e Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire…
Le discours
Dans un discours extrêmement pédagogique, François Hollande a décrit les fondements de la politique de dissuasion : les intérêts vitaux, ses deux composantes, la stricte suffisance, l’utilité de ces armes et leur modernisation sur les 50 prochaines années, car, dit-il, « le temps de la dissuasion nucléaire n'est pas dépassé ». Aucune annonce concrète de désarmement, ce qui rompt avec une coutume engagée depuis le président Mitterrand en 1994, qui décida l’abandon des missiles tactiques. La règle veut que le silence soit respecté quant aux adversaires étatiques ; mais là aussi, le président nous a surpris : si la menace d’un Iran nucléaire est agitée, la Russie et la Chine sont directement visées, quoique sans être citées. Le président indique sa crainte de voir des États développer « des logiques d'influence, de menaces, dans leur environnement proche, terrestre [la Russie en Ukraine] ou maritime [la Chine en mer de Chine méridionale] ». Il visera à nouveau ces États « jusqu’à présent, dotés d'armes nucléaires et qui professaient l'urgence de leur désarmement [la Chine a toujours indiqué être en faveur de l’élimination des armes nucléaires], ont même accru leur capacité avec le développement de nouvelles composantes [la Chine avec sa composante sous-marine, la Russie avec sa composante terrestre] nucléaires, ou la poursuite de production de matière fissile pour les armes [ce qui est le cas de la Chine]. »
Le président affirme pouvoir user « en dernier ressort » d’un « avertissement de nature nucléaire ayant pour objectif le rétablissement de la dissuasion. » Cet avertissement s’appuiera de la composante aérienne, signifiant l’utilisation d’un ASMP-A doté d’une ogive TNA de 300 kT. « L’avertissement » dans ce cas, signifierait une annihilation de l’adversaire, la puissance de l’arme équivalant à 20 fois Hiroshima. Il semble donc que la stratégie visée de « l’avertissement » soit d’éviter ce cas extrême en réalisant, non pas une frappe sur un « centre névralgique », mais en provoquant une détonation dans le ciel, créant une impulsion électromagnétique (évoquée par le président Chirac, janvier 2006) ou en bombardant une zone désertique. Une stratégie qui implique donc bien l’emploi d’une arme nucléaire, qui semble se limiter à des pays possédant des zones désertiques et dont les conséquences, même d’une impulsion électromagnétique, effrayent la communauté internationale en raison des conclusions des conférences sur l’impact humanitaire des armes nucléaires.
La fausse transparence
Le président, mentionne pour « aller plus loin dans la transparence » que la France a 300 armes nucléaires, « dispose de trois lots de 16 missiles portés par sous-marins, et de 54 vecteurs ASMP-A ». Cette annonce vient troubler la faible transparence affichée par Sarkozy en 2009 (discours de Cherbourg) :
- Les chiffres annoncés comme secrets pour les vecteurs, étaient en réalité connus car publiés dans les rapports parlementaires.
- Le nombre « 300 » pose un réel problème d’interprétation. En effet, Sarkozy avait bien mentionné à Cherbourg que, une fois la composante aéroportée diminuée d’un tiers, « notre arsenal comprendra[it] moins de 300 têtes nucléaires ». Cette diminution a été effective en 2011. Doit-on en conclure qu’entre 2011 et 2015 la France a augmenté le niveau de son arsenal ?
Adaptation versus Modernisation des armes nucléaires
La prolifération nucléaire – et des autres armes de destruction massive – est la première des menaces pour la France. Devant un « contexte international [qui] n'autorise aucune faiblesse » le président a décidé de « lancer des adaptations », « des études de conception » pour « préparer l'avenir plus lointain qui sera le renouvellement de nos composantes ». Ces éléments de langage permettent de ne pas utiliser le mot « modernisation ». La prolifération nucléaire – surtout pour les médias – est uniquement vue à travers l’arrivée de nouvelles puissances. Mais l’élargissement de capacité nucléaire (nouveaux vecteurs, nouvelles armes) constitue la prolifération verticale. Celle-ci, en revanche, est très largement dénoncée par les États non dotés. Le discours pose un double problème :
- Il légalise la prolifération nucléaire sous couvert d’assurer « la fiabilité et la sureté » de la force de dissuasion. Des adaptations qui modernisent cette force, accroissant la portée, la précision et la puissance des vecteurs et des armes et assurant ainsi la pérennisation des arsenaux d’une manière durable.
- Il contredit les engagements pris par la France sur le TNP (article VI), le Document final de la 8e Conférence d’examen du TNP (2010) et ses mesures n°3 et 5 ou encore la résolution 1887 du Conseil de sécurité.
Le désarmement nucléaire : accomplissements de la France
Le président a mentionné l’exemplarité de la France : « nous n'avons pas parlé du désarmement ; nous l'avons fait jusqu'au point nécessaire » : réduction de moitié du nombre d’armes, diminution d’un tiers de la composante aéroportée, renoncement à la composante sol-sol, arrêt de la production d’uranium hautement enrichi (UHE) et de plutonium (Pu), démantèlement des installations correspondantes, arrêt des essais nucléaires. Évidemment, ces mesures sont positives, mais elles répondaient à une obsolescence de certains systèmes et à une absence de besoin stratégique. Enfin certaines mesures énoncées sont « trompeuses » et trahissent l’esprit du désarmement nucléaire :
- Le président se donne la peine d’indiquer que « le programme de simulation est en pleine conformité avec le traité d'interdiction complète des essais nucléaires ». Cela pose un problème non pas juridique – car rien ne l’interdit – mais contredit l’esprit et l’objectif du traité. Celui-ci doit éviter que des États ne réalisent des essais nucléaires leur permettant d’améliorer la qualité de leurs armes. Sans essais nucléaires, impossible d’améliorer et de s’assurer de leur bon fonctionnement. Or, c’est justement ce que la France accomplit via ce programme Simulation. En recourant à des procédés scientifiques et technologiques, elle améliore et poursuit sa capacité à produire des armes (comme les TNA et TNO).
- La France n’a jamais révélé la quantité de ses stocks de Pu et d’UHE. Mais selon l’International Panel on Fissile Materials[2], les sites de Pierrelatte (1967 à 1996) et de Marcoule (1956 à 1992) permettent à la France de disposer de 26t d’UHE et de 6t de Pu. Une ogive nucléaire est constituée de 3 à 4 kg de Pu et de 4 à 7 Kg d’UHE…
- Comparaison n’est pas raison. Si la France a réduit son arsenal nucléaire de moitié – signifiant qu’elle disposait de 600 ogives vers 1992[3] – il faut relever que les États-Unis[4] disposaient en 1992 de 13 708 (et 19 008 en 1991) et la Russie de 26 734 armes pour respectivement être à un niveau de 7 300 et 8 000 armes en 2014. Ces deux États ont donc réduit plus que de moitié leurs arsenaux nucléaires, le président indiquant le contraire. Les Britanniques, eux, sont à un niveau comparable (225) à celui de 1992 (250). Par contre la Chine a augmenté son arsenal.
La France et le désarmement nucléaire
Par le passé, l‘expression « désarmement nucléaire » n’a été utilisée que très rarement. Un manque qui a été réparé, le président stipulant que la France « ne veut pas renoncer à l'objectif même du désarmement, y compris du désarmement nucléaire » et que son outil diplomatique reste pleinement mobilisé « en faveur du désarmement et c'est particulièrement vrai à quelques semaines de la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération ». Il conclut qu’il « partage donc l'objectif, à terme, de l'élimination totale des armes nucléaires » ajoutant : « quand le contexte stratégique le permettra.» À la lecture de ce discours, même le « souhait » du président ne sera pas réalisé avant plusieurs décennies et selon un plan dit par étapes. Ceci est en complète opposition avec les conclusions présentées lors des trois conférences internationales sur l’impact humanitaire des armes nucléaires.
Le président annonce comme preuve de bonne volonté, la présentation à la RevCom d’un « projet de traité ambitieux, réaliste et vérifiable, sur l'arrêt définitif de production de matières fissiles pour les armes ». Depuis 18 ans, la Conférence du désarmement tente de mettre en place un tel traité dit cut-off, mais le Pakistan (et, insidieusement, la Chine) bloque ce processus. Il faut bien observer que la France n’a réalisé aucune mesure de désarmement comme elle s’était engagée à le faire, en adoptant le Document final du TNP de 2010. La France espère donc, en présentant un tel plan, « adoucir » cette réalité… Ce plan ne va concerner que les États dotés de l’arme nucléaire, l’objectif non avoué étant de parvenir à limiter la taille de l’arsenal chinois. Ce qui apparaît comme une grande annonce ne sera certainement au final (après un temps très long de négociation) qu’un simple traité de régulation des matières fissiles, et non pas d’élimination. Il serait très surprenant en effet, de voir la France proposer que soit inclus un processus d’élimination des stocks, assurant alors la route au désarmement nucléaire.
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1. Jean-Marie Collin, « Dissuasion nucléaire : l’obstination française », Éclairage du GRIP, 19 février 2015.
2. Global Fissile Material Report 2013.
3. Jean-Marie Collin, « TNP, rapport de la France désarmement et non-prolifération nucléaire », Défense et géopolitique, 30 avril 2014.
4. Hans M. Kristensen et Robert S. Norris, « Worldwide deployments of nuclear weapons, 2014 » Bulletin of the Atomic Scientists, septembre 2014.
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- Retrouvez cet article sur le site du GRIP (Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix et la Sécurité).
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