13 mai 2018

ACTU : La communauté internationale risque d’être confrontée à une nouvelle vague de prolifération nucléaire

Jean-Marie COLLIN

Le 15 juillet 2015, c’est avec un grand soulagement que la communauté internationale apprenait enfin, après 13 années d’âpres négociations, que le risque de voir l’Iran se doter de l’arme nucléaire était rendu caduc par un accord solide. Dans l’Accord de Vienne – ou plan d’action commun – l’Iran réaffirmait « qu’en aucun cas il ne cherchera, ne développera ou n’acquerra d’armes nucléaires », un engagement qui s’ajoute, par ailleurs, au fait que l’Iran n’envisage pas de se retirer du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968, qui lui interdit également de se doter de ce type d’armes.

L’Iran s’est engagé avec l’Accord de Vienne à recevoir des contrôles fréquents par les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur toutes ses infrastructures nucléaires pour garantir leur utilisation à des fins pacifiques. En échange, la communauté internationale desserrait son étau de sanctions économiques. Résultat : après trois années d’existence, tous les rapports de contrôle de l’AIEA garantissent que l’Iran respecte ses engagements. La crainte de voir l’arme nucléaire proliférer dans toute cette région a ainsi été repoussée, Israël restant le seul État à posséder cette arme de destruction massive au Moyen-Orient.

Cet accord démontre que la diplomatie est la meilleure arme pour lutter contre l’insécurité mondiale posée par les armes nucléaires. Sa remise en cause, de manière unilatérale, par les États-Unis, le 8 mai 2018, est une catastrophe pour la stabilité internationale, et plus particulièrement pour la région du Moyen-Orient. Il s’agit d’une décision dont nul ne peut prédire les lourdes conséquences. Par exemple, doit-on redouter, dans les prochaines semaines, une possible attaque d’Israël – comme ce fut le cas en juin 1981 sur le site irakien d’Al-Tuwaitha et sur le présumé site nucléaire syrien en septembre 2007 – sur les infrastructures iraniennes pour achever cet épisode ? Comment la Russie, alliée de l’Iran, réagira-t-elle à une attaque d’un allié des États-Unis ?

Par cette décision, le président américain Donald Trump porte un coup grave à la crédibilité de tous les engagements futurs que les États-Unis pourraient réaliser. Comment la Corée du Nord pourra-t-elle croire toute future négociation sur un processus de dénucléarisation ? Cet acte envoie un signal qui induit que tout ce qui est accepté par les États-Unis peut, au final, ne pas être honoré. Cette décision met donc en danger la sécurité internationale.

En 2017, le comité Nobel décernait le prix Nobel de la paix à la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN) pour son « travail de sensibilisation sur les conséquences humanitaires catastrophiques de toute utilisation d’armes nucléaires », ainsi que pour son « initiative inédite visant à obtenir l’interdiction de ces armes au moyen d’un traité ». Le comité Nobel souhaitait rappeler au monde le danger et les risques d’utilisation des armes nucléaires.

Avec la remise en cause de cet accord, la communauté internationale se voit confrontée encore un peu plus au risque posé par les arsenaux nucléaires, et éventuellement à une nouvelle vague de prolifération nucléaire. De manière plus générale, c’est bien l’avenir du régime général de non-prolifération nucléaire qui se pose. La Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires exhorte ainsi tous les États à signaler leur rejet inconditionnel des armes nucléaires en ratifiant le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2017. Déjà 58 États ont décidé de franchir ce pas.

De plus, l’ICAN encourage les autres signataires – l’Allemagne, la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni, l’Union européenne et l’Iran – à rester partie prenante de l’Accord de Vienne, et également à ce que Téhéran poursuive sa pleine coopération avec l’AIEA pour continuer de démontrer le caractère pacifique de son programme nucléaire. Cette politique responsable iranienne permettrait de ne pas souffler sur les braises de l’insécurité alimentées par le président Donald Trump.

Face au danger que représentent les armes nucléaires et face aux risques de la prolifération nucléaire, la mise en œuvre de l’interdiction complète de ces armes, puis leur élimination totale apparaît être un but encore plus vital.

Source : Basta!



Valérie de Graffenried, « Nucléaire iranien : Donald Trump viole un accord international », Le Temps, 9 mai 2018

Le professeur Marcelo Kohen réagit à la décision unilatérale du président des États-Unis à propos de l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 entre Téhéran et les grandes puissances


En annonçant, le 8 mai, que les États-Unis dénonçaient l’accord sur le nucléaire iranien, le président Donald Trump a plongé le monde dans l’incertitude. L’analyse de Marcelo Kohen, professeur de droit international à l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement de Genève.

Les États-Unis ont-ils le droit de se « retirer » d’un accord international avalisé par le Conseil de sécurité des Nations Unies ?




Il est plus correct de dire que Donald Trump a pris la décision de rétablir les sanctions contre l’Iran. Car le plan d’action global commun adopté à Vienne le 14 juillet 2015 ne contient aucune clause permettant le «retrait» de l’une des parties. Et l’accord a, en outre, été approuvé par la Résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU. Les sanctions adoptées par le gouvernement Trump constituent donc une violation claire de l’obligation assumée par les États-Unis de cesser de les appliquer, comme prévu dans le plan d’action commun.

A fortiori, la menace de sanctions contre des entreprises étrangères – pour la plupart européennes – qui concluent des contrats avec l’Iran est également illicite. L’Iran s’est engagé à ne chercher en aucun cas à obtenir, mettre au point ou acquérir des armes nucléaires. Si le gouvernement des États-Unis considère que l’Iran ne respecte pas cet engagement, le plan d’action et la Résolution 2231 prévoient des moyens de règlement des différends permettant de saisir le Conseil de sécurité assez vite et une restauration rapide et même automatique des sanctions adoptées précédemment par cette instance. La mesure unilatérale prise par le président Trump constitue aussi une violation de ces dispositions, adoptées en vertu de l’article 41 de la Charte des Nations Unies, qui s’imposent à tous les États membres.

Vous dénoncez des violations de dispositions internationales, mais comment expliquez-vous, dès lors, la réaction si mesurée des dirigeants européens? Ils ne disent que « regretter » la décision américaine…

Pour l’instant, ils réagissent surtout en confirmant qu’ils respectent pour leur part les engagements prévus dans l’accord, quelles que soient la décision et l’attitude des États-Unis. Affirmer le besoin de respecter le droit international est un message important.

Mais, en somme, le président des États-Unis peut donc violer un accord international sans aucune conséquence ?

Si l’on tient compte du mécanisme prévu pour régler les différends, c’est l’Iran qui pourrait dénoncer les États-Unis devant le Conseil de sécurité pour avoir violé l’accord. Mais cet État n’obtiendrait aucun résultat favorable s’il initiait une telle démarche. L’Iran a, par contre, la possibilité de saisir la Cour internationale de Justice en se référant à un traité d’amitié et de commerce conclu entre les deux États en 1955, et qui a déjà été utilisé devant la Cour.

La décision de Donald Trump sur les sanctions vise aussi les Européens qui signent des contrats avec l’Iran. Les dirigeants européens peuvent-ils accepter cela ?

Le but est de mettre fin aux contrats existants et d’empêcher la conclusion de nouveaux contrats. Mais ces prétentions extraterritoriales des Américains sont inacceptables du point de vue du droit international. L’Union européenne a, par le passé, déjà rejeté ce type de comportement de la part des États-Unis.


Source : Le Temps

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