L'année 2020 marque le 26e anniversaire du génocide contre les Tutsis au Rwanda, au cours duquel près d’un million de personnes ont été tuées en raison de leur identité tutsie. 100 jours d’horreurs commises par des auteurs dont l’intention était d’exterminer les Tutsis en tant que groupe. Ils ont également tué les Hutus modérés et d’autres opposants au génocide.
C’est avec une profonde humilité que je propose une réflexion sur l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire humaine. C’est l’occasion de nous rappeler notre incapacité collective à reconnaître les signes avant-coureurs d’une violence imminente, à empêcher la mort de tant de personnes, et à renouveler notre détermination à empêcher que de telles atrocités se reproduisent.
Se souvenir des crimes odieux commis au Rwanda signifie reconnaître les victimes et appeler l’attention sur les survivants et les luttes auxquelles ils continuent de faire face. Nous devons nous inspirer de la capacité des survivants à montrer que la réconciliation est possible, même après une tragédie aux proportions aussi monumentales.
Je dis souvent qu’aucune partie du monde ne peut se considérer à l’abri du risque d’atrocités criminelles, c’est-à-dire de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité.
Dans toutes les sociétés il y a des facteurs de risque liés aux atrocités criminelles dans une certaine mesure, par exemple les divisions fondées sur l’ethnicité, la race, la religion ou d’autres motifs, les disparités sociales, la discrimination ainsi que les violations des droits de l’homme.
C’est la rapidité avec laquelle ces facteurs de risque sont gérés qui déterminera s’ils dégénéreront ou non en situations plus graves. Nous sommes donc tous responsables en matière de prévention et devrions y contribuer, quels que soient nos rôles ou nos capacités.
Le génocide est le crime le plus grave contre l’être humain. Ce n’est pas hasard s’il a été estampillé « crime des crimes » ! La meilleure façon d’honorer la mémoire des victimes est de veiller à ce que rien de tel ne se reproduise. Nous devons tous être attentifs aux signes avant-coureurs et agir rapidement pendant qu’il est encore temps.
L’un des principaux signes d’alerte et déclencheurs de la violence est la propagation du discours de haine dans le discours public et les médias, qui ciblent des communautés spécifiques en fonction de leur identité, en particulier les cas les plus extrêmes de discours de haine susceptibles d’inciter à l’hostilité et la violence.
Les crises en cours dans de nombreux endroits du monde nous rappellent clairement que nous ne parvenons toujours pas à prévenir les atrocités criminelles. Des civils, notamment des femmes, des enfants et des personnes âgées, continuent d’être brutalement tués, violés, déplacés et victimes de discrimination en raison de leur identité. Nous devons veiller à agir rapidement, au stade le plus précoce possible, pour protéger les personnes menacées d’atrocités.
Construire une société meilleure est une entreprise qui nécessite la participation de tous les segments de la société, tous les hommes, toutes les femmes, toutes les ethnies et toutes les religions. Cela nous oblige à travailler ensemble vers un objectif collectif. Nous savons très bien que sans sociétés pacifiques et inclusives, le risque de crise, de violence et même d’atrocités criminelles augmente.
Nous devons nous efforcer de lutter contre les inégalités, construire une société cohésive sans divisions ethniques ou raciales, promouvoir la bonne gouvernance. Nous devons également lutter contre l’intolérance, la haine et toutes les formes de discrimination.
La jouissance des droits et libertés fondamentaux doit être garantie et protégée. Aussi longtemps que ces valeurs ne seront pas sauvegardées dans toutes les régions du monde, nous poursuivrons notre combat pour éliminer les risques d’atrocités criminelles. Nous poursuivrons notre combat pour que notre promesse du « plus jamais ça » ne soit pas qu’un simple slogan. Elle doit être une réalité.
Le Rwanda nous enseigne cette leçon essentielle. Aussi n’est-il pas surprenant que le président Paul Kagame ait affiché son ferme attachement au principe de non-indifférence consacré à l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine. Il n’est pas non plus surprenant que le Rwanda soit un champion du principe de la responsabilité de protéger, qui a été adopté il y a 15 ans par les dirigeants mondiaux, tirant les leçons de leur échec au Rwanda et à Srebrenica.
Le souvenir du passé doit nous guider dans notre détermination, pour le présent et pour l’avenir, à ne ménager aucun effort pour construire et renforcer l’esprit de paix pour les générations à venir et bâtir un monde exempt de génocide. Nous le devons aux victimes du génocide des Tutsis au Rwanda et aux survivants. Nous le devons à nous-mêmes.
Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide
Mode de citation : Adama DIENG, « De l'importance de reconnaître les signes avant-coureurs d’une violence imminente », Multipol, 28 juin 2020
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