12 février 2021

NOTE : La saisie des navires dans les espaces maritimes africains

Kofi Nagno M’BEOU

Tirant les enseignements des deux guerres mondiales, les États se sont engagés dans un processus de pacification des relations entre nations qui vise « à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage, à unir [leurs] forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales » (Charte des Nations Unies, préambule, §§ 8 et 9)

Cette volonté s’est exprimée au travers de leurs engagements dans différents instruments internationaux pertinents. Au nombre de ces importants instruments, figure en bonne place la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), texte de référence en la matière, signé le 10 décembre 1982 à Montego Bay (Jamaïque). Cette convention constitue l’aboutissement d’un long processus dont le but était d’instituer un régime juridique d’ensemble visant à résoudre les problèmes concernant le droit de la mer.

Elle a repris en termes clairs, le désir des États de bâtir une société de paix, de justice et d’équité et de sécurité, comme le renseigne son préambule en son paragraphe 8 : « Convaincus que la codification et le développement progressif du droit de la mer réalisés dans la Convention contribueront au renforcement de la paix, de la sécurité, de la coopération et des relations amicales entre toutes les nations, conformément aux principes de justice et d’égalité des droits, et favoriseront le progrès économique et social de tous les peuples du monde, conformément aux buts et principes des Nations Unies, tels qu’ils sont énoncés dans la Charte ».

De plus, la présence sur le plan international d’un État étant largement tributaire de son poids économique, il va de soi que les États concentrent l’essentiel de leurs efforts dans le développement, ceci, à travers le commerce et les échanges de marchandises, dont une grande partie a lieu en mer.

Lieux d’échange privilégiés, les espaces maritimes présentent des enjeux considérables pour les pays, notamment dans en matière économique, de défense nationale, environnementale et de développement durable. Les espaces maritimes ont une importance économique et stratégique pour les États, raison pour laquelle les États ont toujours essayé d’y imposer leur souveraineté. Cela explique également l’importance des enjeux juridiques s’attachant à la gestion de cet espace.

De nos jours, les États sont de plus en plus confrontés à un nombre important de différends qui les conduisent parfois à procéder à la saisie et immobilisation des navires relevant de leur juridiction ou non, ainsi que de leurs biens, lorsque ceux-ci se rendent coupables d’actes délictueux en violation de la législation nationale en vigueur.

Si l’on peut s’accorder sur la définition de la saisie comme étant une procédure d’exécution forcée par laquelle un créancier privé ou public fait mettre des biens mobiliers ou immobiliers de son débiteur sous la main de la justice ou de l’autorité administrative, l’immobilisation, quant à elle, peut être comprise simplement comme l’action de rendre une chose immobile. En d’autres termes, il s’agit d’empêcher le navire de se déplacer.

Ayant une nature juridique mobilière, mais avec un régime juridique s'apparentant à celui d'un immeuble, le navire est un meuble spécial. C’est pourquoi le droit commun des saisies incarné par l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) de l’OHADA ne saurait, en principe, lui être applicable. L'étude de la saisie des navires séparément des autres biens meubles peut nous conduire à nous poser une série de questions, notamment celle de la particularité de la saisie des navires par rapport à la saisie des biens meubles corporels. Cependant et comme il a été signalé, la saisie des navires n'est qu'une dérogation et non une exception à la saisie de droit commun. En tant que telle, une nécessaire conciliation devrait être faite en vue d'identifier dans quelle mesure le droit commun des saisies incarné par l'AUPSRVE pourrait accorder une certaine adaptation à ce mode particulier de saisie.

Des questions pullulent, les opinions doctrinales divergent et les solutions fournies par la jurisprudence (parfois contradictoires, parfois hésitantes) ne sont pas de nature à étancher la soif de l'analyste dans la quête d'une réponse cohérente et satisfaisante à l'évidente disparité constatée à travers les diverses législations existantes en la matière, surtout lorsqu'il y a de la peine à identifier de façon significative la véritable législation applicable à telle ou telle situation juridique. De la sorte, quelle réponse devrait-on apporter à un créancier qui se trouve dans une situation d'ambiguïté juridique ne lui permettant pas de déterminer sous quel empire législatif il doit agir, afin de ne pas être confronté aux conséquences désastreuses qu'implique l'application d'une loi qui pourrait s'avérer inappropriée au cas d'espèce ?

L'étude de la saisie des navires nous permet d’avoir recours au droit comparé, afin de mieux apprécier la réglementation interne incarnée par les Codes de la marine marchande des Etats africains. Par ailleurs, en matière de saisie des navires, il faut préciser que deux conventions sont susceptibles d’être appliquées : d’une part, la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, d’autre part, la Convention de Genève du 12 mars 1999 sur la saisie conservatoire des navires. 

La question intéresse au plus haut point les acteurs internationaux, d'autant plus que la saisie des navires peut être un moyen pour favoriser l'activité maritime internationale. L’objectif, pour les États, a donc été de trouver des voies et moyens d’inscrire la question de la saisie au rang des préoccupations majeures en vue de favoriser l’activité maritime, ceci à travers l’adhésion et la mise en œuvre de règles communes.

Le Sommet sur la Sécurité maritime et le Développement en Afrique, qui s’est tenu le 15 octobre 2015 à Lomé (Togo), s’inscrit parfaitement dans cette logique d’unification des règles en ce domaine. En effet, disposant de 30.725 km de côtes, les États africains se doivent d’harmoniser leur politique et de pallier l'obsolescence de leurs dispositions en cette matière, afin d’assurer convenablement les échanges commerciaux, dont plus de 90% des importations et des exportations transitent par la mer, et de lutter efficacement contre l’insécurité qui y a souvent cours.

On voit bien que le critère économique n'est pas neutre dans la réglementation de ladite saisie. Gage de recouvrement des créances, la valeur économique d'un navire est aussi un gage d'autonomie dudit navire lancé dans son périple, sa traversée, son aventure maritime. En effet, la valeur du navire détermine le crédit que peuvent lui accorder les éventuels avitailleurs ou prestataires de services, dont l'intervention permettra au navire d'arriver au terme de l'expédition maritime. Quand il quitte son port d'attache, le navire fait route vers des ports dans lesquels il fera escale et à proximité desquels demeurent les personnes qui ont pu permettre l'accomplissement de son précédent voyage. Dès lors qu'ils ne sont pas désintéressés de leurs créances, les créanciers du navire trouvent avantage à exercer leurs droits directement sur ledit navire, plutôt que de tenter de recouvrer leurs créances auprès d'armateurs ou d'affréteurs situés à l'étranger et dont la solvabilité et même l'identité peuvent leur être inconnues. La pratique maritime a donc imaginé très tôt des solutions pour permettre aux créanciers du navire d'exercer leurs droits ou de se faire attribuer un gage sur le navire.

Si face à l'augmentation de la valeur des navires, la pérennité du transport maritime a exigé d'abandonner un système de limitation à hauteur de la valeur du navire, la limitation de la responsabilité de l'armateur fait encore aujourd'hui référence à la jauge du navire, de même que la limitation de la responsabilité du transporteur maritime, puisqu'elle est calculée selon le poids des marchandises chargées à bord ou selon le nombre de colis embarqués. Les marchands et autres négociants acceptent, quant à eux, de perdre le solde de leurs créances, puisqu'ils s'interdisent d'en poursuivre le règlement sur les autres biens composant le patrimoine de l'armateur. Ainsi, comme le souligne la Convention de Bruxelles de 1952, l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer et le Code communautaire de la marine marchande dans ses dispositions sur la saisie des navires permettent donc de saisir un navire à titre conservatoire, afin d'obtenir la garantie d'une créance maritime se rapportant au navire.

La saisie des navires revêt une particularité par rapport au droit commun des voies d'exécution en ce sens que, contrairement au droit commun des voies d'exécution, seul le navire est susceptible d’être saisi selon les règles. Il faut également l’existence d’une créance maritime fondée en son principe. Cette créance peut être pratiquée, à cet égard, sur le navire auquel se rapporte la créance ou sur un autre navire appartenant à celui qui, au moment où est née la créance maritime, était propriétaire du navire auquel se rapporte la créance.

La saisie conservatoire des navires a été distinctement prévue pour tenir compte des particularités découlant du droit maritime. Ceci s’observe dans sa phase de déroulement à travers l’utilisation d’une notion propre au droit maritime l’« autorité maritime compétente[KNM2] » issue du Code Communautaire de la Marine Marchande (CCMM). Tel qu’il résulte de l’article 120 du CCMM de la CEMAC, l'autorité maritime compétente détermine les catégories de bâtiment et d'embarcations dispensées du titre de nationalité. Toutefois, ceux-ci pourront solliciter la délivrance d'un certificat d'exemption ou congé par le service compétent, ce document faisant foi de titre de nationalité.

On peut aussi relever l’effet principal qu’on attache à la saisie conservatoire d’un navire, à savoir l’immobilisation au port de saisie, contrairement à l’indisponibilité du meuble frappé de saisie conservatoire ordinaire. Cet effet s’explique par le fait que le navire est avant tout un meuble et qu’il faut tenir compte des exigences du domaine maritime pour ne pas déposséder le propriétaire de son navire.

Le navire possède, de ce fait, des caractéristiques particulières qui le distinguent des autres meubles ordinaires, ce qui explique que le régime de sa saisie déroge fortement à celui des biens meubles ordinaires.

Nonobstant ces singularités, on observe des situations dans lesquelles les règles de droit commun des voies d’exécution sont appliquées dans la saisie des navires.

Dans cette perspective, il faudra prendre en considération le régime hybride d'une telle saisie et adapter, d'une part, les règles de droit commun de la saisie conservatoire des biens meubles corporels à la saisie conservatoire des navires d'une part, d'autre part, les règles de droit commun de la saisie immobilière à la saisie-exécution des navires.

Cela pourra justifier le fait que le spécial déroge au général dans le cas donc où le spécial ne prévoit rien et que le général devrait recevoir application. Le même raisonnement peut se faire en cas de renvoi explicite ou implicite du spécial au général.

En guise de conclusion, il apparait assez clairement que l'AUPSRVE devrait s'appliquer de façon supplétive à la saisie des navires lorsque les codes de marine marchande des États ou les conventions ont sur une question précise des voies d'exécution fait l'impasse en renvoyant à cet Acte uniforme ou tout simplement lorsqu'ils n'ont rien prévu. 





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