18 avril 2018

POINT DE VUE : Intervention armée en Syrie : le président français ment

Emmanuel GOFFI

Quand l’information laisse place à la communication, le mensonge n’est jamais loin. En l’occurrence, loin d’informer les Français sur les frappes menées en Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril par la France et ses alliés américains et britanniques, le président Emmanuel Macron a fait le choix de la manipulation et du mensonge. Profitant de la méconnaissance des Français sur le sujet, le président de la République française, comme ses prédécesseurs d’ailleurs, s’est arrangé avec la vérité en recourant à une rhétorique visant, sans doute possible, à manipuler l’opinion publique.

Répondant, le 15 avril dernier, aux questions des journalistes Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, lors d’un entretien télévisé sur BFMTV que le chef d’État a voulu démocratique et empreint de vérité, Emmanuel Macron a multiplié les mensonges. Mensonges, par ailleurs, réitérés devant les parlementaires européens le lendemain.

Une intervention « légitime »

Lors de l’entretien, le président Macron a affirmé que l'opération de représailles à l'attaque chimique du 7 avril à Douma, imputée au régime de Bachar al Assad, était « légitime dans le cadre multilatéral », puisque « c’est la communauté internationale qui est intervenue ». De manière fort intéressante, Emmanuel Macron jongle avec les mots en remplaçant la légalité par la légitimité. S’il évite soigneusement de qualifier l’intervention de légale, en contrepartie, il ne se prive pas de rappeler les violations du droit international par la Syrie et par la Russie. Ce faisant, le président français manipule les mots et, conséquemment, l’opinion. Outre le fait qu’il a décidé de cette intervention sans consultation de la représentation nationale, il a participé à une coalition qui est intervenue sans mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies. Comment peut-il, dès lors, affirmer face aux Français, en invoquant avec un aplomb déconcertant le débat démocratique, que l’intervention était légitime ?

Une opération décidée et menée par trois pays sur les 193 que comptent l’Organisation des Nations Unies (ONU), n’a aucune forme de légalité. En affirmant, sur un ton péremptoire, que trois pays sur les cinq membres permanents du Conseil de sécurité « c’est une majorité », le président Macron ment. Tout d’abord, parce que le Conseil de sécurité compte 15 membres dont 10 non permanents et 5 permanents. Il s’agit donc de trois pays sur les 15 du Conseil de sécurité, pour ne pas dire sur les 193 de l’ONU. D’autre part, les décisions d’action se prennent par un vote affirmatif de neuf membres du Conseil de sécurité « dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents », comme spécifié à l’article 27 de la Charte des Nations Unies. La majorité dont le président Macron parle n’existe donc pas. Nous avons bien trois États qui ont décidé d’intervenir sans mandat légal et sans légitimité.

La Résolution 2118 (2013) prévoit l’usage de la force

Le président Macron souligne, par ailleurs, qu’il y a « une résolution, dite 2118, de septembre 2013 qui rappelle (…) l’interdiction d’utilisation d’armes chimiques, qui prévoit d’ailleurs l’usage de la force si elle n’était pas respectée ». La Résolution 2118 émise par le Conseil de sécurité le 27 septembre 2013 prévoit, en effet, « qu’en cas de non-respect de la présente résolution, (…) il [le Conseil de sécurité] imposera des mesures en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ». Cependant, il ne s’agit en aucun cas d’un blanc-seing donné aux États pour intervenir militairement en cas de violation de la résolution. Il est ici question d’affirmer que le Conseil de sécurité, en cas de manquement, pourra décider de prendre « toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales », tel que prévu aux articles 39 à 42 de la Charte des Nations Unies.

Or, la gamme de ces actions couvre un spectre très large comprenant, outre les « mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée » prévues à l’article 41, « des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations Unies », comme indiqué à l’article 42. En aucun cas la Résolution 2118 ne donne le droit d’intervenir unilatéralement sans mandat, et en aucun cas elle ne limite l’action au recours à la force.

Une intervention qui n’est pas une guerre

Toujours selon le président Macron, les frappes menées par la France et ses alliés, ne sont « pas un acte de guerre » contre le régime syrien, mais des « représailles » sanctionnant l’utilisation supposée d’armes chimiques contre des civils à Douma dans la Ghouta orientale le 7 avril dernier. L’artifice consistant à requalifier une intervention militaire, en évitant soigneusement de la considérer comme une guerre n’est pas nouveau. Le 24 avril 2008, lors d’un entretien télévisé, le président Nicolas Sarkozy affirmait avec force au sujet de l’intervention française en Afghanistan : « Ce n’est pas une guerre ! ». Le débat qui a d’ailleurs agité la classe politique sur la qualification de l’intervention en Afghanistan témoigne de l’instrumentalisation du terme.

En l’occurrence, exclure les bombardements en Syrie de la qualification de guerre permet de s’extraire de l’exigence constitutionnelle de passer par le Parlement français, c’est-à-dire de court-circuiter la représentation nationale, et donc les Français eux-mêmes. Au titre de l’article 35 de la Constitution française, le Parlement est, comme relai de la volonté populaire, seul légitime à engager dans une guerre la nation qu’il représente. Mais, la guerre a été rendue illégale, sauf si elle est défensive, par les Nations Unies.

Lors de la révision de la Constitution en 2008, l’article 35 a été amendé pour y inclure un devoir d’information du Parlement. Pour autant, le législateur n’a pas jugé utile de prendre en compte l’interdiction de la guerre pour modifier l’article en profondeur et élargir le rôle de contrôle du Parlement à d’autres types d’action militaire. La représentation nationale s’est donc vue dépossédée de sa responsabilité au profit de l’exécutif. Pour reprendre l’expression du journaliste Edwy Plenel lors de l’entretien, il s’avère que, désormais, la décision d’engager les forces françaises dans un conflit relève d’un « exercice solitaire du pouvoir » et qu’en France l’exécutif est effectivement seul aux commandes.

Le président chef des armées

Pour justifier cette décision régalienne, le président Macron argue du fait qu’il est, au titre de la Constitution française, le « chef des armées ». Outre que très peu de Français connaissent la Constitution et n’ont pas nécessairement connaissance de cet état de fait, cet argument est doublement spécieux. D’une part, le statut de chef des armées n’implique pas une délégation de pouvoir du peuple vers le Président. D’autre part, le statut de chef des armées ne confère pas un droit exclusif d’emploi de la force armée.

Si la Constitution dispose effectivement en son article 15 que « le Président de la République est le chef des armées », elle établit également que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » et qu’il « dispose de l'administration et de la force armée » (article 20) et, enfin, que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement » (article 35). Enfin, rappelons qu’au titre de l’article L4111-1 du Code de la défense « l’armée de la République est au service de la nation ». On comprend donc que le président est un acteur, certes majeur, parmi d’autres en matière de recours à la force armée, et non pas un chef de guerre ayant les pleins pouvoirs comme il le laisse entendre.

En plus d’être mensonger, l’argument est malhonnête, puisque le président ne cesse de répéter que c’est « la France » qui est intervenue. Or, sauf à considérer qu’il la représente seul, il se trouve que la France n’a pas eu son mot à dire.

Un acte condamnable


Au final, si l’on y regarde de plus près, l’intervention de la coalition en Syrie est parfaitement illégale sur le plan du droit international et, pour la France, démocratiquement discutable sur le plan national. En frappant sans mandat onusien en Syrie, les États-Unis, le Royaume Uni et la France ont violé la souveraineté de l’État syrien, contrevenant ainsi à leurs engagements internationaux, notamment à l’égard des Nations Unies. La Charte de l’ONU stipule, en effet, dans son préambule « qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun ». Or, s’il y avait eu intérêt commun, la coalition aurait soit réuni un nombre plus important d’États, soit été mandatée par le Conseil de sécurité qui est seul légitime à constater « l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d'agression » et à décider « quelles mesures seront prises », comme prévu à l’article 39.

D’autre part, l’article 2, § 4, de la Charte des Nations Unies dispose que « les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». En l’occurrence, la menace de recours à la force et l’emploi de la force sont avérés et contraires à la lettre et à l’esprit de la Charte des Nations Unies.

Ensuite, le principe de souveraineté édicté à l’article 2, § 7, selon lequel « aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale », a clairement été bafoué, à l’instar du principe de règlement pacifique des différends. Cette violation est également une violation de la Résolution 2118 dans laquelle le Conseil de sécurité réaffirme « son ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne ».

Enfin, les responsables politiques, dont le président Macron, ayant décidé des bombardements en Syrie sont condamnables devant la Cour pénale internationale, au titre du crime d’agression, tel que défini à l’article 8 bis du Statut de Rome, qui dispose qu’« on entend par "acte d’agression" l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies. Qu’il y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes d’agression au regard de la Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1974 », actes parmi lesquels on trouve « le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État » ( § 2).

L’exercice solitaire du pouvoir en matière de recours à la force n’est pas nouveau et s’inscrit dans une tradition née sous la Ve République française. Les opérations Manta au Tchad (août 1983 - septembre 1984), tempête du Désert dans le Golfe persique (août 1990 - février 1991), Turquoise (au Rwanda du 22 juin au 22 août 1994), en ex-Yougoslavie (1992-1999), Harmattan en Lybie (mars 2011 - octobre 2011), ou encore Serval au Mali (depuis janvier 2013) et Sangaris en République centrafricaine (depuis décembre 2013), sont autant d’interventions décidées par le pouvoir politique, en particulier par les différents présidents de la République, et parfois même en dépit de l’opposition de la hiérarchie militaire.

Que le président décide de violer le droit international est inacceptable. Qu’il le fasse au nom de la France sans l’avoir préalablement consultée l’est encore plus. Mais que pour justifier l’injustifiable, il fasse le choix de mentir aux Français est juste honteux. Il faut, c’est indispensable, redonner au Parlement un rôle de contrôle a priori et ce, quel que soit le type d’intervention militaire. C’est la condition sine qua non, pour rendre aux Français la maîtrise tant de l’armée de la République que de leur destin. Ignorer cette nécessité, c’est accepter les risques de dérives et se rendre coupables, par passivité, des violations du droit commises en notre nom.


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