Catherine MAIA
C'est l'épilogue du plus long et sans
doute du plus coûteux procès de l'histoire de la justice pénale internationale.
Le 22 avril à Arusha, en Tanzanie, le Tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR) a clos l'audience en appel de son ultime affaire, ouverte en juin
2001.
Parmi les six derniers accusés à comparaître, l'ex-ministre rwandaise de la Famille, Pauline Nyiramasuhuko, 69 ans, seule femme jugée par le TPIR, a demandé en sanglots aux juges d'appel de l'acquitter. Elle a affirmé qu'elle n'avait pu commettre les crimes abominables pour lesquels elle a été condamnée en première instance à la perpétuité.
"Une mère impliquée dans l'innommable"
Pauline Nyiramasuhuko, incarcérée depuis
juillet 1997, a également argué avoir été "condamnée car il fallait à tout
prix prouver qu'une femme, qu'une mère avait été impliquée dans
l'innommable".
S'inclinant devant les victimes de la
tragédie rwandaise, elle a reproché au TPIR de n'avoir poursuivi que des
responsables de l'ancien régime hutu, au pouvoir en 1994 et accusé d'avoir
préparé le génocide de la minorité tutsi, déclenché dès le lendemain de la mort
du président rwandais Juvénal Habyarimana dont l'avion a été abattu le 6 avril
1994 à Kigali.
"Une partie des Rwandais est
diabolisée tandis qu'une autre partie est victimisée, a-t-elle expliqué en
faisant implicitement référence respectivement à la majorité hutu et à la
minorité tutsi. "Je ne crois pas que cela puisse résoudre les problèmes de
mon pays", a ajouté Pauline Nyiramasuhuko.
Les cinq co-accusés de Nyiramasuhuko
demandent leur acquittement
À ses côtés, ses cinq co-accusés ont été
également présents à cette dernière audience : son fils Arsène Shalom
Ntabobali, né en 1970, le plus jeune détenu du TPIR, qui a lui aussi écopé de
la perpétuité, tout comme l'ex-maire de Muganza (sud), Elie Ndayambaje. Mais
aussi l'ancien maire de Ngoma (sud), Joseph Kanyabashi, qui a été condamné à 35
ans de prison et les anciens préfets de Butare (sud), Sylvain Nsabimana et
Alphonse Nteziryayo, respectivement condamnés à 25 et 30 ans d'emprisonnement
au premier degré.
Au bord des larmes, Arsène Shalom
Ntahobali, a lui aussi demandé au TPIR de l'acquitter. "Je ne suis pas ce
tueur-violeur qu'on vous a décrit. Je ne suis pas cette horrible personne que
les témoins de l'accusation ont décrite ici", a-t-il déclaré.
Les quatre autres accusés ont aussi
demandé leur acquittement. Mais tout au long de ce procès en appel ouvert le 14
avril, le parquet n'a cessé de réclamer le maintien des peines à perpétuité et
des peines plus lourdes pour les autres, sans en préciser le quantum.
L'arrêt des juges, dont la date n'a pas
été officiellement annoncée, est attendu en août 2015. Il marquera la fin des
travaux du TPIR.
Sources : AFP/Jeune Afrique
Photo officielle des juges du TPIR, le 22 février 2000 à Arusha
Après 20 ans de travail et 61
condamnations, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) s'apprête
à fermer ses portes, avec un bilan en demi-teinte.
Créé par l'ONU en 1994, le
TPIR fermera ses portes dans quelques mois, la date du 31 décembre 2014 ayant
été repoussée afin de permettre la tenue de derniers procès en appel.
Quelque 92 personnes, surtout
des hauts responsables politiques ou militaires en fonctions au moment du
génocide y ont été mis en accusation. Parmi elles, 61 ont été condamnées, dont
7 attendent encore leurs procès en appel. Voici un bilan en trois points clés
de vingt années de procédure.
Un rôle réconciliateur minime
?
Lente, coûteuse, mal au fait
de la réalité rwandaise, pas assez proche des victimes, qui n'ont pu y
intervenir qu'en tant que témoins et n'ont jamais pu obtenir réparation...
le TPIR s'est attiré de nombreuses critiques.
Le Rwanda n'avait ainsi pas
souhaité l'accueillir sur son sol, en désaccord avec son mandat, qui couvrait
aussi d'éventuels crimes commis par le Front patriotique rwandais (FPR), lors
de son offensive ayant mis fin au génocide.
Kigali a aussi
systématiquement fustigé les acquittements qui y ont été prononcés et le
procureur général rwandais, Richard Muhumuza, déplore encore aujourd'hui
"le petit nombre de suspects" jugés à Arusha. Le président de
l'association des rescapés Ibuka, Jean-Pierre Dusingizemungu, regrette quant à
lui que 9 accusés, dont l'argentier présumé du génocide Félicien Kabuga, soient
encore en fuite.
D'autres estiment qu'en ne
jugeant que les responsables du génocide et aucun cadre du FPR, le TPIR - comme
les juridictions rwandaises - est passé à côté du rôle réconciliateur qu'il
aurait pu avoir. Une critique que le procureur actuel du TPIR, Hassan Bubacar
Jallow, balaie, expliquant avoir dû "se concentrer" sur les crimes de
génocide par souci d'efficacité.
Un mandat trop restreint ?
En 20 ans, le Tribunal n'a
jamais tranché la question de la planification et de la préparation du
génocide. Son mandat débutait d'ailleurs au début de l'année 1994, ce que
dénonçait aussi Kigali, pour qui le génocide avait été préparé dès 1990, voire
même dès les premiers pogroms antitutsi des années 1950.
Mais tous reconnaissent qu'il
aura au bout du compte réalisé un travail colossal en décortiquant le
déroulement du génocide et en produisant des montagnes d'archives. Il aura
permis de mettre fin à l'impunité dont bénéficiaient jusque-là hauts
responsables politiques et militaires coupables des crimes les plus graves.
Au final, le Tribunal aura
"quand même fait son travail" résume Bonaventure Higaniro, gardien du
mémorial du génocide de Kamonyi, à une trentaine de kilomètres au sud de
Kigali. L'homme aurait préféré que l'ancien maire de la commune, Jean-Paul
Akayesu, premier condamné du TPIR, et les accusés suivants, soient jugés au
Rwanda.
"Cela aurait été mieux
qu'il soit jugé ici (...) car ici les gens le connaissaient et auraient pu
donner plus d'informations", glisse Bonaventure. Mais, reconnaît-il, sans
le TPIR, l'ancien maire, qui avait fui en Zambie après le génocide, et bien
d'autres n'auraient jamais été arrêtés. "Ceux qui ont tenté de fuir, le
TPIR a mis la main dessus, et les a jugés", ajoute-t-il.
Une justice politique ?
Première - et à ce jour la
seule - juridiction internationale à avoir jugé, en Afrique, des crimes aussi
graves, le TPIR n'est cependant pas nécessairement un modèle à répliquer,
estiment ses principaux acteurs.
Le problème d'une telle
juridiction est qu'elle "est coûteuse et porte en elle ses propres
limites", estime son greffier, Bongani Majola : privé de police propre, le
TPIR reposait exclusivement sur la coopération, pas toujours évidente, de pays
tiers pour arrêter les fugitifs.
Pour le greffier, l'avenir
sera sans doute davantage à des procès organisés aux niveaux national ou
régional, "où il y aura peut-être plus de coopération" entre États, à
l'exemple de la juridiction spéciale créée en 2012 à Dakar par un accord entre
l'Union africaine et le Sénégal pour juger l'ex-dictateur tchadien Hissène
Habré.
La justice internationale
aura cependant toujours "un grand défaut", estime Carla del Ponte,
ex-procureur du TPIR écartée, dit-elle, pour avoir tenté d'enquêter sur des
responsables du FPR : elle a beau constituer "le bon chemin", elle
dépendra toujours "de la volonté politique de la communauté
internationale".
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